Entretien avec Martin Seligman, père de la psychologie positive

Entretien avec Martin Seligman, père de la psychologie positive

Le 4 février dernier, Martin Seligman, chercheur et professeur à l’Université de Pennsylvanie aux Etats-Unis était de passage à Paris pour une conférence intitulée « The Hope Circuit ». Nous l’avons rencontré pour en savoir plus sur la résilience et la quête du bonheur.

 

En quoi consiste la psychologie positive ?

Traditionnellement, la psychologie est centrée sur l’intrapsychique. Or il est plus intéressant de sonder notre rapport au monde et la qualité de nos relations avec les autres. De ne pas s’arrêter à l’individuel pour penser notre épanouissement sur un mode collectif.


Comment êtes-vous arrivé à l’idée de la psychologie positive ?

Je suis un amateur de roses. J’étais en train d’en cultiver dans mon jardin avec ma fille Nicole qui venait d’avoir cinq ans. Je mettais de l’engrais pendant qu’elle dansait et chantait. Je lui ai dit assez fortement “Au travail !”. Elle m’a regardé puis elle est partie. Quelques minutes plus tard, elle est revenue et m’a demandé “Papa, est-ce que je peux te parler ?”, je lui ai demandé ce qui n’allait et elle m’a répondu “ Tu te rappelles avant mes cinq ans ? Je pleurnichais tout le temps. As-tu remarqué que ce n’est plus le cas ? Le jour de mes cinq ans j’ai décidé de ne plus jamais pleurnicher. Si je peux faire ça, tu peux arrêter de râler ”. Cela a été une révélation. Je croyais que pour éduquer un enfant, il fallait trouver toutes les choses qui n’allaient pas et les corriger pour qu’il soit exemplaire mais cela n’avait finalement aucun sens. J’ai découvert qu’elle s’était corrigée toute seule et que mon travail en tant que parent était plutôt de reconnaître ses atouts pour l’aider à mener sa vie.

Finalement, de quoi dépend notre bonheur ?

Il ne dépend pas de notre statut social ou de notre apparence physique, mais c’est une combinaison unique de ce que j’appelle « des forces distinctives » comme le sens de l’humanité, le calme, la capacité à nous élever au-delà du simple plaisir personnel pour nous mettre au service de ceux qui nous entourent… Bien sûr, il est nécessaire de combler, avant toute chose, nos besoins élémentaires (l’alimentation, la sécurité…). A l’échelon au dessus, nous devons être reconnaissants et savoir pardonner ce qui a pu se produire dans le passé. Mais aussi savoir faire face aux émotions négatives du présent, et enfin regarder le futur avec espoir et optimisme.

L’optimisme est-il un vecteur de guérison ?

Il est scientifiquement prouvé que les croyances positives des optimistes et leur confiance en eux les rendent persévérants. En « mode positif », notre cerveau accroît ainsi les capacités d’apprentissage et d’adaptation au changement grâce, notamment, à la dopamine sécrétée. Bien entendu, il ne suffit pas d’être optimiste pour guérir, mais cela aide grandement… L’optimisme, souvent caricaturé, est trop souvent assimilé à de la naïveté, de l’aveuglement ou un angélisme béat. Or face aux situations délicates, les optimistes sont conscients des difficultés rencontrées. Ils ne se voilent pas la face, mais abordent les problèmes de façon constructive. En revanche, ils sont davantage focalisés sur une recherche de solutions que sur une rumination du problème.

Comment le cultiver cet optimisme?

La psychologie positive s’intéresse précisément aux mécanismes d’épanouissement et de bien-être des personnes. La santé mentale et physique n’est plus seulement caractérisée par l’absence de maladie. C’est un état de bien-être indispensable pour faire face aux situations quotidiennes et avoir des relations sociales satisfaisantes. D’où l’intérêt de se prémunir contre un stress inhibant et destructeur. L’optimisme n’est pas la seule ressource. Il y a aussi l’espoir, la gratitude, le pardon ou encore la créativité.

Dans l’ère digitale dans laquelle nous vivons, pensez-vous que le bonheur et les réseaux sociaux puissent coexister ?

Plus vous avez d’écrans, moins vous êtes heureux. Toutefois, nous ne pouvons pas les éradiquer, donc à mes yeux, la question est plutôt de savoir comment les utiliser au mieux. On sait que le bonheur consiste à être avec les autres, on croit que c’est le cas avec les réseaux sociaux, mais ce n’est qu’une illusion.

Selon de récentes études, la France serait le champion du monde du pessimisme ?

Une étude du Pew Research Center, publiée en septembre dernier, et menée à l’échelle mondiale sur le moral des populations, révèle en effet que 80% des Français pensent que leurs enfants vivront matériellement moins bien qu’euxJe en nie pas les raisons d’être inquiets, mais si nous nous focalisons trop sur ce qui pose problème, nous risquons d’être aveuglés et de passer à côté de tout ce qu’il y a de magnifique chez l’être humain.

Quelles sont les risques d’une culture du pessimisme ?

Il est scientifiquement prouvé que plus on se plaint, plus on est sujet à la dépression, avec potentiellement une santé dégradée, une productivité moindre… On peut dès lors s’interroger sur le futur d’une civilisation dont le pessimisme est si profondément ancré. C’est d’autant plus préoccupant que le taux de satisfaction global en France ne cesse de baisser depuis 15 ans. Il est très inférieur à celui des autres pays européens. Pourtant, la France est l’une des dix premières puissances financières mondiales. Ce pays est donc beaucoup plus pessimiste qu’il ne devrait l’être !