Quand l’intimité des patients est mise à rude épreuve

Hôpital
Quand l’intimité des patients est mise à rude épreuve

Quand on est patient, l’intimité physique et psychique est parfois mise à rude épreuve, que ce soit dans la sphère hospitalière bien sûr, mais aussi avec ses proches. Quels regards les aidants et les aidés portent-ils sur la question ? Pourquoi est-ce si difficile de se « mettre à nu » au propre comme au figuré ? Témoignages.

Il est loin heureusement le temps où des chefs de clinique débarquaient dans les chambres d’hôpital avec tous leurs élèves et levaient le drap pour examiner leur objet d’étude sans grande considération pour ce que ces derniers pouvaient ressentir. Depuis, des textes ont vu le jour pour, notamment La Charte de la personne hospitalisée, qui prévoit notamment, dans son chapitre huit que « le respect de l’intimité de la personne doit être préservé lors des soins ». «L’intimité » renvoie à ce qui est intérieur et profond en nous-mêmes ; voire secret. Elle fait partie de nos besoins essentiels. L’intimité, c’est ce qu’on cherche à préserver. C’est ce qu’on ne partage pas, ou bien seulement si on le décide, avec ceux que l’on choisit. Nous avons rencontré trois patients qui racontent la façon dont leur intimité a été mise à l’épreuve, en raison de la maladie.

Quand la pudeur en prend un coup

Lucie a une sclérose en plaques. A 45 ans, elle souffre de problèmes de motricité et doit demander de l’aide à sa mère pour se laver. « Je le vis comme une vraie régression », confie Lucie. Jamais elle n’aurait pensé solliciter sa mère comme dans sa tendre enfance, pour ces gestes si banals du quotidien. « Je ne pourrai accepter que personne d’autre qu’elle me voit nue et me savonne, et j’ai la chance que nous soyons très proches, pour autant, c’est un peu humiliant, car je suis plutôt pudique », souligne-t-elle. La pudeur, nous y voilà. Se mettre à nu tant psychiquement que physiquement n’a rien de simple. Nous n’avons pas tous le même rapport à la pudeur, mais ces moments restent délicats. Pour l’aidant, ce n’est pas simple non plus. Jocelyne, sa maman, souffre de voir sa fille si affaiblie : « Ce n’est pas dans l’ordre des choses. Par le passé, elle a toujours été vaillante et sportive. C’est incompréhensible et douloureux pour nous deux, mais il n’en demeure pas moins que le fait de l’aider, y compris dans la sphère la plus intime, est pour moi une évidence».

Trouver les bons mots, c’est essentiel

Chez les Duval, c’est l’inverse. C’est la mère qui sollicite sa fille Charlotte. Sylvie a 68 ans. Atteinte elle aussi d’une maladie neuro-dégénérative, elle n’est plus en mesure de s’assumer au quotidien. « Pour la préparation des repas ou l’aide ménagère, recourir à une personne extérieure à ma famille n’a rien de problématique, mais c’est pour la toilette intime que c’est plus délicat. J’ai essayé une fois de faire appel à une infirmière, mais cette expérience s’est mal passée, car l’aide soignante était un peu brutale et condescendante. Je l’ai très mal vécu. Ma fille Charlotte habite à deux pas de chez moi. Quand elle m’a proposé son aide la première fois, j’ai poussé des hurlements. Il n’en était pas question. Mais j’ai réfléchi, et accepté, car même si la situation est très gênante, surtout au début, je préfère que ce soit elle plutôt qu’une inconnue », raconte-t-elle. Et Charlotte, comment le vit-elle ? D’après Sylvie, sa fille a très vite su trouver les bons mots : « elle m’a rassuré, m’expliquant que c’était un juste retour des choses. J’ai toujours beaucoup donné à mes enfants, et elle le vit comme un témoignage de gratitude ». Si Sylvie a fini par accepter l’aide d’un proche, il n’en est pas de même pour tous les patients.

La crainte de se sentir redevable

Bernard, 62 ans, est atteint de la maladie de Parkinson. Pendant toute sa vie, il s’est toujours assumé tout seul. Mais à présent, pour le moindre geste, il doit solliciter un soutien. Quand il prend sa douche, la salle de bain est transformée en piscine et il risque de glisser. Blessé dans son orgueil, il vit assez mal cette réalité, mais ne souhaite pas solliciter de personnes au sein de sa famille car il ne veut pas avoir le sentiment d’avoir une dette envers ses proches, à commencer par son épouse. « Cette aide crée à mes yeux un rapport inéquitable, entre celle qui donne et celui qui reçoit. J’ai le sentiment de lui être redevable. Je comprends que tout le monde ne vit pas les choses comme moi, mais c’est très personnel ». Don de soi, abnégation, déséquilibre …. le recours à l’aidant ne va pas de soi, à fortiori quand il s’agit du rapport au corps et à l’intimité. Dans le couple, cette question se pose avec une certaine acuité. Elle peut bouleverser les rapports amoureux, mais il est important d’en parler car il est possible de vivre sa sexualité autrement, sans renoncer au plaisir.

A savoir :  les aidants peuvent bénéficier à leur tour d’un soutien, car pour eux, la situation est souvent très lourdes. Dans son film, Ma chère famille, Benjamin Laurent met en lumière ces hommes et ces femmes humainement et économiquement irremplaçables. Ils sont environ 8,3 millions d’aidants familiaux en France, auquel ce webdocumentaire rend hommage, pour montrer leur quotidien, comprendre leurs aspirations, leurs difficultés, leurs joies, mais aussi leurs fiertés.

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