Il y avait une vie avant l’accident. Il y aura une vie après. Une vie où chaque progrès sonne comme une victoire contre le sort. Une vie faite de dépassement de soi, d’objectifs à atteindre, de moments conviviaux partagés en famille et entre amis. Une vie de fatigue, de lassitude, de contraintes aussi. Une vie et son lot de bonnes et mauvaises nouvelles. La vie de Corinne, victime d’un double accident vasculaire cérébral en 2015, et celle de tous ses proches, à commencer par son époux William. Récit…
De son expérience professionnelle en milieu scolaire, Corinne a conservé un emploi du temps des plus organisés. Entre les cours de dessin, de yoga, d’anglais, les sessions de marche et de vélo, mais aussi les séances d’orthophonie, de kinésithérapie, les 2 heures quotidiennes d’autorééducation… ses journées sont bien chargées et loin d’être de tout repos. Une bonne raison de « dormir beaucoup » comme l’avoue cette ancienne institutrice, aujourd’hui âgée de 51 ans.
Elle se fatigue plus rapidement qu’avant l’accident. Ce dernier justifie d’ailleurs les « activités » médicales et de rééducation qui rythment son emploi du temps, sans compter les incontournables rendez-vous chez le neurologue et d’autres spécialistes. Des professionnels de santé que cette habitante des Yvelines n’aurait jamais pensé côtoyer, mais un double accident vasculaire cérébral en a décidé autrement.
Trois semaines de coma…
Ce jour-là, j’étais à l’école. En milieu de matinée, j’ai eu mal à la tête, puis les maux de tête se sont intensifiés vers l’heure du déjeuner. Je sentais que quelque chose n’allait pas. J’avais du mal à parler…
Une collègue, professeur des écoles dont le conjoint est médecin, identifie rapidement les symptômes d’un accident vasculaire cérébral (AVC) et appelle les pompiers.
Pour la suite du récit, c’est William, son époux, qui prend le relais. « C’était le 21 septembre 2015. Cette date restera à jamais gravée dans l’histoire de notre famille. Ce qu’on a d’abord considéré comme un AVC était en réalité une rupture de la carotide. Prévenu sur mon lieu de travail, j’ai rejoint mon épouse à l’hôpital de Mantes-la-Jolie. Nous pensions avoir passé le plus dur… », se souvient-il. Sauf que, trois jours plus tard, le 24 septembre, une nouvelle épreuve met en jeu son pronostic vital. En pleine nuit, elle fait une hémorragie cérébrale… Opérée d’urgence, elle est plongée dans un coma artificiel pendant trois semaines.
« L’opération s’était bien passée mais il fallait que son cerveau se repose et qu’il soit le moins sollicité possible, uniquement pour faire battre son cœur », explique William. Avant de poursuivre : « Quand l’hôpital vous appelle et vous dit que la vie de votre femme ne tient plus qu’à un fil et qu’il faut l’opérer pour évacuer les poches d’eau et de sang dans le cerveau pour diminuer la pression dans le crâne, vous n’avez pas le temps de réfléchir ou de vous morfondre. À ce moment-là, comme votre épouse allongée, vous êtes dans le combat. Vous n’avez pas le droit de subir. Vous devez rester fort et ne pas vous effondrer, surtout pour vos enfants. Au moment des faits, nos trois filles avaient 15 ans pour les jumelles et 18 ans pour l’aînée. »
Cet état d’esprit, William l’a conservé. L’homme n’est pas du genre à s’apitoyer sur son sort, même s’il avoue s’être posé beaucoup de questions au départ.
Apprendre à accepter pour continuer à avancer
La situation était d’autant plus difficile à accepter que Corinne n’avait aucun antécédent. Sportive accomplie, elle courait au moins une fois par semaine, réalisait avec son mari de nombreuses sorties à vélo, mangeait équilibré, ne buvait pas, ne fumait pas non plus…
« En l’espace d’un mois, mon épouse échappe à la mort et se retrouve en maison de repos, paralysée du côté droit, dans l’incapacité de parler et sans aucun souvenir. Et tout cela alors qu’elle avait une excellente hygiène de vie. C’est d’ailleurs ce qui a surpris tout le monde, à commencer par l’équipe médicale qui s’est occupée d’elle. Je ressentais un profond sentiment d’injustice et me disais « pourquoi elle, pourquoi nous ? » Il m’a fallu plusieurs échanges avec les infirmières pour accepter, digérer et me dire finalement « et pourquoi pas nous ? ». Une fois que vous avez compris cela, vous savez que ce sera difficile mais votre envie de continuer à vivre et à en profiter est décuplée. La vie reprend le dessus ». D’autant plus qu’elle réserve parfois de belles surprises et vient saluer les efforts consentis, non seulement par Corinne, mais aussi par son principal aidant. Comme lorsque l’ancienne institutrice, longtemps en fauteuil roulant, recouvre progressivement ses aptitudes à la marche au point de réaliser l’été dernier une randonnée de 70 kms avec un dénivelé positif de 2 800 mètres. Mieux, il y a 4 ans, le couple – amateur de vélo – fait l’acquisition d’un tandem pour s’autoriser, à nouveau, les sorties à deux. « Corinne est une personne très volontaire et enthousiaste. Elle est toujours partante et nourrit une forte motivation pour se surpasser », salue William.
L’autre bonne nouvelle accueillie par le couple fut la récente reconnaissance par l’inspection académique « de l’imputabilité du service » dans l’accident de Corinne. En d’autres termes : le lien de cause à effet entre exercice professionnel et son AVC. Il aura fallu pour cela quatre passages au tribunal administratif et « se battre » pendant six longues années. Une procédure éreintante vécue comme un véritable parcours du combattant pour faire reconnaître comme tel cet accident professionnel.
« J’ai au final un dossier épais de 32 centimètres. C’est pour vous dire la bataille judiciaire qui a été la nôtre. Au-delà de la réparation financière et de la pension que touche Corinne, nous en faisions une question d’honneur et de justice. C’était important pour nous de faire reconnaître que l’accident avait eu lieu pendant qu’elle exerçait ses fonctions. Cette reconnaissance est une belle victoire. Nous voulions aller jusqu’au bout, même si ce fut très difficile. Car ce combat, l’aidant le mène souvent seul. Je ne voulais pas fatiguer Corinne avec cela car elle devait se concentrer sur sa rééducation et ne pas être surmenée », souligne William, ingénieur en bureau d’études dans l’industrie automobile.
Et demain, quel objectif ?
Cette procédure judiciaire achevée, pas question pour autant d’en conclure que la maladie est derrière eux. La réalité est toute autre.
Corinne ne pourra certainement plus jamais conduire. Il lui est difficile voire impossible de suivre une conversation à plusieurs, voire de comprendre ou de se souvenir de ce qu’elle vient de lire. Faire à manger ou réaliser les autres tâches ménagères récurrentes demeure compliqué. « Nous n’avons pas exactement la vie que nous aurions imaginé à 50 ans mais nous avons une autre vie où nous sommes heureux avec des filles pleinement épanouies, des proches qui nous soutiennent et de vrais amis qui sont toujours restés à nos côtés », se réjouit William. Ils accompagnent Corinne dans ses sorties quotidiennes pour faire les courses par exemple, organisent des dîners…
« En tant qu’aidant, on est souvent seul pour gérer de front le quotidien administratif, les tâches ménagères, le parcours de soin et les prises de rendez-vous médicaux. C’est à vous, et vous seul, de vous renseigner sur les aides auxquelles vous pourriez avoir droit, et je ne parle pas uniquement des aides financières. C’est à vous aussi de demander des examens complémentaires, d’appeler les caisses de mutuelle, l’assurance maladie, l’inspection académique… tout en vous préservant physiquement aussi. Il faut donc prioriser les choses. Sans oublier que vous avez également des responsabilités professionnelles ! Aujourd’hui, j’ai un travail qui m’oblige à m’absenter pendant plusieurs jours à l’étranger. Il faut donc tout anticiper et c’est là que les amis et la famille sont importants. Je pars sereinement et j’ai même pu programmer que Corinne me rejoigne en Argentine et que nous rallions ensemble le Brésil », raconte William.
Preuve que si leur vie a changé, elle n’en reste pas moins belle et excitante. Le couple se fixe régulièrement de nouveaux objectifs. Dernier en date : apprendre à naviguer sur un voilier pour s’offrir des sorties en mer et faire du cabotage. Place donc aux cours, théoriques et pratiques, que Corinne suivra également. Autant dire que son emploi du temps n’est pas prêt de s’alléger…
M-FR-00005993-1.0 – Etabli en janvier 2022