« Je ne suis pas fou, je suis un malade normal ! »

« Je ne suis pas fou, je suis un malade normal ! »

On estime que 600 000 personnes souffrent de bipolarité en France, avec des alternances d’euphorie et de mélancolie, ponctuées parfois de périodes plus ou moins longues de stabilité. Cela complique leur quotidien personnel et professionnel. Des difficultés auxquelles s’ajoute le regard négatif porté aujourd’hui par la société sur cette maladie en particulier, et sur les maladies mentales en général. Patrick JEANNOT fait face à la maladie depuis 1995…

Dans sa bouche, les mots fusent, comme qui dirait, à la vitesse de la lumière. Rien d’étonnant pour ce féru d’astronomie qui avouera « s’en remettre à sa bonne étoile dans ses moments de perdition. » Et comme pour justifier son impressionnant (mais non moins captivant) débit de paroles, le Tourangeau de 66 ans prévient :

j’ai toujours eu l’habitude de dire ce que je pense. Ça m’a peut-être desservi à certains moments, mais au moins avec moi les choses sont toujours très claires ».

Ce qui est dit n’est plus à dire ; voilà pour les présentations. L’homme est direct; pas de temps à perdre. Le temps c’est même l’une de ses principales obsessions :

je suis très à cheval sur les horaires et ne supporte pas d’être en retard ; c’est pour ma part une question de respect vis-à-vis d’autrui, et cela peut jouer sur la qualité des relations humaines que j’entretiens par la suite avec les personnes auxquelles je fais confiance. Cette gestion des horaires au quotidien n’est pas de tout repos, alors je suis content que vous m’ayez appelé à l’heure
convenue »,

s’amuse-t-il avant d’ajouter :

C’est certainement lié à ma maladie. »

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Patrick Jeannot

« Je ne suis coupable de rien »

Maladie : le mot est lâché. Et une fois de plus, le franc-parler de Patrick JEANNOT est de mise :

Je n’ai pas à avoir honte d’être malade. Le fait de le cacher ou de ne pas en parler reviendrait à dire que je suis coupable ou responsable de quelque chose. Oui, la bipolarité est une maladie à part entière. Donc, je ne suis pas fou, je suis malade et je me soigne. A partir de là, j’en parle ouvertement et librement avec mes proches, mes amis mais aussi toute personne que j’aurais à côtoyer plus ou moins longtemps. Les gens savent où j’en suis. Le mensonge ne m’aiderait pas à me sentir mieux de toute façon »,

explique celui qui a longtemps travaillé dans la finance. Mais ça c’était avant ; enfin, avant et pendant la maladie pour être plus précis…

 

 

D’abord victime d’un burn-out

L’année 1995 restera à jamais gravée dans la mémoire de Patrick JEANNOT. Cette année-là, la maladie fait brutalement irruption dans son quotidien. Et, à y regarder de plus près, on oserait presque affirmer que le contexte y était favorable… A cette époque, celui qui a créé son cabinet de conseil en investissement, est « au four et au moulin », se souvient-il. Même pour l’hyperactif qu’il a toujours été, le rythme est infernal avec près de 300 appels téléphoniques quotidiens et une moyenne de 15 heures par jour.

Il fallait bien cela à l’époque car je débutais une nouvelle carrière professionnelle dans la finance. Quittant le domaine de l’industrie, je repartais de zéro à 43 ans »,

explique-t-il. Sauf que, pour son corps et son esprit, la donne est tout autre… Patrick JEANNOT finit par être victime d’un burn-out.

« J’ai littéralement pété les plombs, mais je ne suis pas un violent. »

Le premier épisode aura lieu dans un café de Tours dans lequel il prend un thé en attendant un ami, et ce avant d’honorer ses rendez-vous avec des clients.

J’ai littéralement pété les plombs après avoir observé une jeune étudiante qui était assise à côté de moi en train de travailler ses cours, et qui me faisait penser à notre fille aînée, laquelle était dans une période difficile au niveau scolaire. D’un seul coup, et je ne savais pas pourquoi, j’ai renversé la table ».

Attention, je ne l’ai pas agressée physiquement, comme d’ailleurs jamais je n’ai porté la main sur quiconque ; je suis un pacifique !

C’était une violence verbale avec un discours totalement décousu »,

tient-il à préciser. L’homme est alors en période d’euphorie totale, selon le terme clinique. Quelques heures auparavant, dans « une sorte de délire mystique dédié à Saint Martin de Tours » – comme il s’en amuse aujourd’hui – il se déleste de plusieurs pièces de monnaie dans un caniveau, sous l’œil interloqué d’une passante. Aux pompiers qui le prendront en charge, il attribuera les prénoms de certains de ses amis.

Je les ai réellement confondus avec des personnes de mes connaissances, même si cela peut sembler difficile à croire ».

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Patrick Jeannot et ses deux filles

Entre prise de conscience et prise en soins

Qu’à cela ne tienne, après quelques heures à l’hôpital, Patrick JEANNOT reprend le cours de sa vie, malheureusement toujours au même rythme. Un rythme effréné, cette fois-ci, en tant que salarié au sein d’une Banque d’Affaires. Malgré le suivi d’un psychiatre et le soutien de son épouse à l’époque, Patrick JEANNOT ne va pas mieux.

J’étais en phase maniaco-dépressive »

Et ce qui devait, arriva. Au bout de plus une année dans la Banque d’Affaires qu’il avait intégré, et après avoir eu des comportements trop dirigistes, sa responsable le traita de ‘’fou ‘’au cours d’un repas au milieu de tous ses collègues ; car n’aimant pas le melon, il avait simplement demandé au serveur une entrée de substitution. « Ayant été très choqué par ses propos, j’ai manifesté mon virulent mécontentement. La suite a été un licenciement et une période très difficile durant laquelle je ne sortais plus de chez moi », se désole-t-il.

 

 

« J’ai fini par prendre conscience de la réalité de ma situation »

Après mon licenciement , je me suis renfermé dans mes bureaux pendant plusieurs jours, décidé fermement à relancer une activité de gestionnaire de patrimoine en lieu et place de mon ancienne activité de conseiller en investissement immobilier dans le cadre des lois de finances dans lequel j’avais employé du personnel. Tout cela s’est déroulé dans un capharnaüm indescriptible »,

raconte-t-il.

Craignant pour ma sécurité et celle des autres ; forces de polices, de sécurité civiles (pompiers), voire même un médecin-psychiatre, ainsi que ma mère et mon épouse, ont tous œuvré pour me faire hospitaliser »,

témoigne-t-il. Mais devant son refus, ses proches réalisent qu’ils ne peuvent pas l’y obliger; puisqu’il ne se met pas en danger et ne trouble pas l’ordre public.

Je restais juste nuits et jours dans mon bureau. Seul un ami médecin de chez S.O.S Médecins a pu me ramener à la raison. Une fois après une première et longue hospitalisation, le diagnostic était réalisé : je souffrais de la maladie Maniaco-Dépressive (ancienne appellation du terme Bi-Polarité) ».

Un équilibre fragile

Bipolarité… Patrick JEANNOT préfère ce terme à celui de maniaco-dépressif :

Maniaco-dépressif : ce mot est très péjoratif dans notre société. Il fait peur. On l’associe tout de suite à une personne dangereuse, voire à un potentiel criminel ; Ce n’est pas du tout ce que je suis. Je suis un être humain, atteint de ce qu’on appelle la maladie des ‘’Troubles de l’Humeur’’.

Et d’ajouter :

par rapport à une personne non atteinte par cette pathologie psychique, notre humeur va alterner de manières excessive, par phases, entre des moments d’euphorie et/ou de mélancolie ».

Et si aujourd’hui Patrick Jeannot affirme se sentir bien (il est « euthymique » : humeur stable et normale), il sait pertinemment que cet équilibre est fragile. Pour preuve, l’hiver dernier, il a tenté par deux fois de se suicider.

On ne peut jamais affirmer que l’on est guéri. C’est pour cela qu’il faut être bien entouré et qu’il faut parler de sa maladie et de son quotidien. C’est ce que je fais grâce à l’association Solidarité Santé Mentale que je préside. Nous y animons régulièrement des Groupes d’Expressions Orales (G.E.O) et les résultats sont très probants »,

précise-t-il. Son conseil pour les personnes malades :

toujours essayer de relever la tête et ne pas hésiter à demander de l’aide. Il ne faut pas rester au fond du puits dans laquelle la maladie nous plonge. Bien sûr, c’est un combat de chaque instant pour ne pas se laisser submerger par ses émotions, j’en sais quelque chose… Aux autres, je demanderai de porter un regard bienveillant et plus solidaire ; car la maladie peut toucher chacun de nous ».

On a toujours peur de ce qu’on ne connaît pas, il faut donc travailler à mieux faire connaître la maladie. En parler avec des mots simples et surtout la démystifier. Car les préjugés sont clairement un frein à l’insertion sociale et professionnelle des personnes en souffrance. Une chose est sûre : Patrick JEANNOT entend bien continuer à se battre contre la maladie, mais aussi contre les préjugés qui l’entourent, comme il n’a cessé de le faire depuis plus de 20 ans.

Retrouvez le témoignage de Rodolphe Viémont qui a filmé sa femme bipolaire et leur merveilleuse histoire d’amour retracée dans Humeur liquide, un film magnifique et émouvant.