Il y a une semaine, Cancer Contribution organisait à la Cité Universitaire (Paris XIV) une journée d’échangesautour de la thématique : « Savoirs et expertises du malade chronique »
Aux cotés des professionnels de santé, certains patients développent eux-mêmes une connaissance solide de la maladie chronique, à même de les rendre plus autonomes face à la maladie au quotidien, et pouvant s’avérer utile pour d’autres patients atteints des mêmes maladies. Si le patient est désormais reconnu comme une ressource pour ses pairs, voire pour les professionnels de santé, peut-on imaginer qu’eux-mêmes acquerront demain le statut de professionnel de santé ?
« On est presque en train d’inventer un nouveau professionnel de santé, des métiers vont sans doute émerger, trouver leur place, acquérir une reconnaissance dans le cadre de la démocratie sanitaire » s’enthousiasmait Nicolas PEJU, Directeur de la démocratie sanitaire, de la communication et des affaires publiques de l’ARS Île-de-France lors du colloque de Cancer Contribution. « Demain, des patients experts seront sans doute des professionnels de la vie, et on verra potentiellement apparaître de nouveaux métiers de vrais professionnels de santé. D’autres acteurs du système de soins devront eux-mêmes réinventer leurs métiers, » renchérissait Hubert JOSEPH-ANTOINE, Directeur du Service aux Patients de de la communication de l’AP-HP.
Vers une professionnalisation du patient expert ?
En effet, conformément à ce que prévoit la loi (notamment la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades) et à ce qu’affichent les ambitions (cf. la stratégie nationale de santé défendue par le gouvernement actuel, qui veut faire de la démocratie sanitaire un axe majeur de sa politique), les patients experts devraient voir leur influence sur les décisions de santé publique augmenter. On a récemment vu apparaitre de nouvelles formations diplômantes, comme celle d’éducation thérapeutique créée en 2010 à l’Université Pierre et Marie Curie (UPMC), valorisant encore leur expérience.
Est-ce à dire qu’un statut juridique de patient expert est d’ores et déjà gravé dans le marbre ? Selon Olivia GROSS-KHALIF, chercheuse à l’Université Paris 13-Bobigny, les conditions d’émergence d’une professionnalisation ne sont pas loin d’être réunies : des savoir-faire propres existent et témoignent d’une vraie valeur ajoutée, de nombreux patients experts sont animés par une éthique d’utilité sociale, et font preuve d’une autonomie croissante. Pour ce qui est de la rémunération, elle pourrait s’inspirer du modèle des pompiers. D’ailleurs, des expérimentations existent déjà : c’est le cas par exemple à l’hôpital de Saint Maurice dans le Val de Marne, qui a recruté et formé deux patients (ayant déjà fait leurs « classes » à l’Université Paris 6) qui bénéficiaient d’un contrat et donc d’une rémunération : « ce patient expert, appelé « médiateur patient » est membre de l’équipe soignante, il participe et anime avec les soignants des ateliers d’éducation thérapeutique. C’est donc un professionnel à part entière, » peut-on lire dans un dossier de recherche réalisé en 2013 à l’EHESP (Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique). On peut ainsi imaginer que dans un futur proche, les patients experts interviendront davantage dans l’élaboration des programmes de formation initiale ou continue à destination des (futurs) professionnels de santé.
Des obstacles à lever
Cela dit, certains facteurs font encore obstacle à cette marche vers la professionnalisation, en premier lieu desquels la question de son utilité économique et sociale : pour Hubert JOSEPH-ANTOINE, « le système de santé doit avant tout pouvoir prouver, au niveau économique, qu’il y a de vrais gains à tirer de l’expertise du patient. » De même, pour Nicolas PEJU, il faut développer une vision des coûts qui pourraient faire l’objet d’une économie : « l’enjeu est de réviser le système sans augmenter le coût. Concrètement, il faut identifier et démontrer l’existence de poches où des économies peuvent être faites, et
comment des investissements se traduiraient en économies sur des coûts évitables. Car il y a sans doute des économies à réaliser, notamment sur les coûts liés à la non-observance des traitements, qui concerne la moitié des personnes atteintes de maladies chroniques ! »
A cela vient s’ajouter le flou qui continue d’entourer le champ de compétence et d’intervention des patients experts, leur définition étant toujours en gestation : « Nous pouvons évoquer des freins tels que l’incrédulité quant à l’intérêt d’impliquer des patients, le besoin d’être rassuré sur le fait que les patients ne vont pas empiéter sur les prérogatives des équipes soignantes, et sur le fait que les patients soient bien formés pour ne pas transmettre des informations erronées concernant les traitements notamment, » note Sonia Chirol, Directrice de l’ANDAR (Association nationale de défense contre l’arthrite rhumatoïde).