Frappé par une leucémie de Burkitt, Eliott a su faire preuve d’un courage incroyable et d’une combativité hors normes. Des qualités qui lui ont permis de guérir, mais la maladie a laissé des séquelles…
Novembre 2018. Eliott, 6 ans, se plaint de douleurs au dos et aux hanches. Dans la mesure où elles persistent, ses parents le conduisent aux urgences. « Nous pensions que c’était un rhume de hanches ; la douleur était insoutenable, au point de le réveiller la nuit. Arrivé aux urgences, il a bénéficié de traitements puissants pour le soulager, puis de toute une batterie d’examens, notamment des IRM, scanners, et des bilans sanguins, pour identifier ce qu’il avait. Nous étions très inquiets », raconte son père Thomas.
Dès ce jour, Eliott est hospitalisé, et ne sortira plus pendant sept longs mois.
La terrible annonce
« Les médecins nous ont dit qu’il y avait des anomalies au niveau des vertèbres. Nous avons compris que c’était grave, surtout quand notre fils est monté au service d’oncologie. Pendant une semaine, nous avons été préparés psychologiquement à une terrible annonce, tout en se rattachant à l’espoir que ce ne soit pas si grave », précise Thomas. Son fils s’est retrouvé dans une toute petite chambre avec un autre enfant qui lui aussi pleurait et souffrait. « Loris, notre fils aîné, était chez nous avec une baby-sitter. Nous ne comprenions pas très bien ce qui nous arrivait. Les infirmières nous invitaient à garder espoir », ajoute Thomas.
Puis le diagnostic est tombé comme un couperet. Eliott avait une leucémie de Burkitt, connue pour être particulièrement redoutable en raison de sa rapide progression. « Ma femme est tombée en larmes, moi j’étais interdit. Sidéré. La seule chose que j’ai entendu de son médecin référent, c’est que ça se soignait. Eliott venait d’entrer en CP. Le traitement a commencé dès le soir même », raconte Thomas, avec des trémolos dans la voix, tout en rendant hommage au service du Professeur Guy Leverger, au sein de l’hôpital Trousseau où son fils a été pris en charge. « Le docteur référent d’Eliott a su trouver les mots justes et adaptés pour un enfant, afin de lui dire ce qui se passait. Elle lui a donné une bande dessinée qui expliquait comment les méchants globules risquaient de détruire les bons, et quelle était la stratégie à déployer pour le guérir », relate-t-il. Eliott a déclaré qu’il allait gagner cette guerre. Et il y est parvenu !
Un écosystème familial qui s’effondre
« Il a fallu que je l’annonce à mes parents, mes beaux-parents et à toute la famille. J’ai tenté de dire la chose sans émotion, factuellement, mais de retour chez moi – j’avais laissé mon épouse et notre fils à l’hôpital pour cette première nuit – j’ai craqué sur la route », ajoute Thomas. Il s’agissait d’annoncer aussi la terrible nouvelle à Loris, le frère d’Eliott.
Loris a lui aussi beaucoup pleuré. Il avait de la peine pour son frère, et voyait aussi que sa propre vie était chamboulée. En effet, les vacances de la Toussaint approchaient, et ce qui avait été planifié a immédiatement été annulé. Non seulement Loris n’est pas parti comme prévu, mais il n’a passé que trois ou quatre soirées avec ses deux parents en l’espace de six mois, car ils dormaient à tour de rôle dans un petit lit pliant aux côtés de son frère Eliott. Ce dernier jouait un peu aux jeux vidéo au début, jusqu’au jour de la pose du cathéter.
Le travail, un échappatoire
« Mes responsables au bureau ont été très compréhensifs, et m’ont proposé de prendre du temps pour moi, mais le fait de me plonger dans le travail m’a beaucoup aidé. C’était comme une échappatoire. Au sein de mon équipe tout le monde savait mais je ne voulais pas de commisération. Continuer à travailler était un moyen de ne pas m’écrouler. Si j’étais resté à la maison j’aurais passé mon temps à faire des recherches sur la maladie, à m’inquiéter. Je voyais qu’Eliott luttait et je devais lutter moi aussi, je ne devais pas me plaindre. Il me semblait important de ne pas changer d’attitude pour ne pas inquiéter mon entourage », raconte Thomas. Il a passé son temps à dire à son fils qu’il était le plus fort. Et à tenter de lui insuffler de l’énergie et l’esprit de combativité. « Mes parents sont venus immédiatement. Un tel épisode bouleverse une vie. C’était d’autant moins évident que nous avions un autre enfant, Loris, dont nous devions nous occuper. Nous avons tenté malgré tout de lui consacrer autant de temps que possible », précise Thomas.
Essayer de rester jovial quand le cœur n’y est pas n’a rien de simple. Thomas et Lucie ont dû se faire violence, gérer l’intendance, les machines à 60 degrés tous les jours pour que les affaires d’Eliott soient propres. « Il fallait les mettre dans un sac hermétique sitôt sorti du sèche-linge pour éviter tout risque de contamination. Une logistique lourde qui s’ajoute à l’épreuve émotionnelle ! Dans ces moments-là, on ne vit plus. J’avais en permanence une valise dans l’entrée de la maison, puis dans le coffre de ma voiture. J’étais dans un tunnel. Je rentrais chez moi après le travail et j’allais me coucher, après avoir préparé ma valise pour ma nuit à l’hôpital le lendemain. Et pourtant je tâchais d’avoir le sourire aux lèvres pour mes fils », relate Thomas.
La solidarité : un véritable rayon de soleil
Dans tout ce chaos, il a pu bénéficier du soutien de personnes fort généreuses, extérieures à la famille. « Le corps médical a été exemplaire. Tout comme les parents d’élèves de l’école de nos fils. Ils se sont relayés pour nous préparer des petits plats qu’ils nous livraient car nous n’avions plus le temps de rien. C’était très réconfortant. Tout comme l’attitude des collègues de mon épouse, qui lui ont fait don de jours de congés, si bien qu’elle a pu bénéficier d’un arrêt pendant toute la durée de la maladie ».
La maîtresse d’Eliott a elle aussi été d’un précieux soutien : elle est venue trois fois lui faire la classe à l’hôpital. « Elle était sous le choc mais a vraiment été remarquable. Puis le traitement est devenu tellement lourd que ce n’était plus possible, car Eliott était sous perfusion. Par la suite, il a suivi des cours avec les instituteurs de l’hôpital, dans sa “tente” sous le flux », ajoute Thomas. Ce qui a beaucoup redonné le sourire à cet enfant fan de foot, c’est la visite de Kylian Mbappé, et d’Omar Sy à quelques jours de Noël. Un pur moment de joie pour celui qui est resté dans un lit pendant si longtemps.
Ecrire et parler pour faire face
Il n’en demeure pas moins que le quotidien était lourd, en raison de traitements très invasifs. « Eliott n’avait plus de défenses immunitaires. Il avait la bouche pleine d’aphtes. Le jour où il a perdu ses cheveux, cela a été très douloureux. Nous avons fait le choix de lui raser nous-même le crâne. Il est tombé en pleurs car il se trouvait moche, mais quand je lui ai dit que Zidane et Barthez étaient super forts bien que chauves, il a immédiatement retrouvé le sourire », précise Thomas.
C’est d’autant plus dur pour Eliott et ses parents qu’ils ont été confrontés à des montagnes russes : les phases où l’enfant allait mieux alternaient avec des phases de rechutes (aplasie). « Je crois que même les médecins ont eu un peu peur. Il faut vraiment garder la foi. Nous avons beaucoup prié. Dans ces moments-là, on se raccroche à tout ce qui peut nous aider », raconte Thomas. Ce qui a soulagé la maman d’Eliott, au-delà des consultations avec un psychologue, c’est d’écrire. « Nous avions créé une newsletter hebdomadaire qu’elle envoyait à nos amis et à notre famille », raconte Thomas. Il conseille aux personnes confrontées à ce type d’épreuves de prendre le temps de discuter avec leur conjoint de la maladie :
ma femme et moi avons vécu seuls ce drame, sans prendre conscience que c’était important de parler de nos ressentis.
Même s’il y avait des divergences dans son couple avant la maladie, cet épisode a accéléré la rupture, comme c’est d’ailleurs le cas hélas pour beaucoup d’autres parents. On ne sort pas indemne d’une telle épreuve : le couple, chacun individuellement, enfants et parents.
Tourner la page
« Se séparer c’est aussi une façon pour des couples marqués au fer rouge par la maladie de tourner une page et d’en écrire une nouvelle », estime Thomas. Et les enfants, eux, comment tournent-ils la page ?
« Eliott, qui est désormais guéri – même si nous vivons avec une certaine angoisse chaque visite de contrôle, espacée de six mois – a longtemps évoqué une forme d’injustice. Maintenant il n’en parle plus trop. On a beaucoup travaillé à le valoriser. Je suis admiratif de la manière dont il a mené ce combat. Ce qui vraiment essentiel pour la réussite du traitement c’est la personnalité de l’enfant. C’était une sorte de mascotte au sein du service de l’hôpital. Il est encore reconnu et salué quand il y retourne pour faire des analyses », note Thomas. A ses yeux, il est important de maintenir une réelle justice entre les enfants, ceux qui sont malades et ceux qui ne le sont pas. En effet, la tentation pourrait être de “passer beaucoup de choses” au malade : « gronder Eliott s’il faisait des bêtises était vraiment dur, mais il ne fallait pas que Loris le perçoive comme un enfant roi, en plus d’être un super héros qui avait vaincu la maladie ».
Après l’épreuve, la famille a bénéficié d’un accompagnement psychologique afin qu’Eliott n’assimile pas la séparation de ses parents à la maladie, même si incontestablement elle pu jouer.
Un nouveau regard sur la vie
Pour Thomas, savourer tous les instants avec ses enfants est devenu une chose cruciale : « l’épreuve m’a changé : je souhaite passer plus de temps avec mes garçons. Je suis davantage disponible pour eux, je vais au moins une fois par semaine les chercher à l’école à 16h45, rien que pour voir leur sourire lorsqu’ils me voient à la sortie. Je ne serai plus jamais le même. Profiter davantage des petits plaisirs avec celles et ceux que l’on aime et le leur dire : voilà bien l’essentiel ! Le reste est vain. »
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