“Les aidants ont besoin d’être reconnus”, Judith Mollard

Alzheimer
“Les aidants ont besoin d’être reconnus”, Judith Mollard

Psychologue au sein de l’association France Alzheimer, Judith Mollard accompagne les patients et surtout leurs proches. Car le statut d’aidant est tout sauf facile à assumer.

De quoi les personnes que vous recevez ont-elles le plus besoin ?

Leurs attentes sont multiples et peuvent différer d’une situation à l’autre. Toutefois, l’un des dénominateurs communs, c’est le besoin d’être reconnu.

Les aidants expliquent souvent que, vu de l’extérieur, les choses peuvent être perçues comme « pas si compliquées que cela »,

alors qu’au quotidien, vivre avec quelqu’un qui présente des troubles cognitifs évolutifs, cela signifie être confronté à beaucoup de choses difficiles. Il y a en effet de nombreux ajustements à trouver.

Justement, la relation entre le proche aidant et le patient aidé peut créer un déséquilibre. Vous voyez souvent apparaître un sentiment de dette ?

La perte d’autonomie, l’altération cognitive et communicationnelle modifient considérablement la qualité de la relation entre conjoints, mais aussi entre un parent et ses enfants. Il est sûr que l’on va vivre cette relation d’aide au regard de celle qui préexistait. On peut avoir un sentiment de dette, mais pas toujours. On peut aussi être dans la réciprocité en apportant à son parent, à son conjoint ce que lui-même nous a donné à un autre moment de notre histoire avec lui.

Tout cela repose sur le vécu de chacun. Or on observe que cela peut se solder par des dissensions entre frères et sœurs qui ne vont pas avoir le même niveau d’implication, la même vision des choses. Ce qui est sûr, c’est que dans la relation parent-enfant, on assiste à un renversement des rôles, qui peut être, pour certains enfants, très difficile à vivre. A fortiori quand cela s’est mal passé dans la situation inversée.

 

Les aidants peuvent se sentir dépassés. Comment réparer la relation avec l’aidé ?

Je ne sais pas si on la répare. Il y a tout un travail pour retrouver une forme d’équilibre. Ce n’est pas toujours facile. Dans certaines situations familiales, cela va jusqu’à la rupture. Certains enfants peuvent prendre une distance jusqu’à ne plus donner de nouvelles, d’autres vont trouver le moyen de s’adapter et faire face à la situation.

Pour cette « génération pivot », partagée entre des parents à accompagner et des enfants jeunes adultes qui eux aussi ont besoin d’être soutenus, il y a des conflits de loyauté qui peuvent être très difficiles à résoudre pour savoir à qui on doit le plus.

En effet, il n’est pas simple de savoir qui est prioritaire, surtout quand en plus on doit donner du temps et de l’implication à son activité professionnelle. Certains vont jusqu’à réduire leur temps de travail, voire quitter leur emploi pour répondre aux besoins de leur parent.

Que peut-on leur dire à ces aidants ?

Il est nécessaire d’envisager le long terme quand on fait face à la nécessité de s’occuper d’un parent souffrant. Sinon on risque de se retrouver dans une situation de « burn out » assez fréquente. Il faut pouvoir en parler à son environnement social, familial, et même professionnel.

On constate que les gens n’osent pas en parler de peur des conséquences négatives. Or, quand on sollicite de la solidarité dans le monde du travail on peut la trouver. Les dons de RTT en sont un bon exemple. Il ne faut pas se dire qu’on va pouvoir rester seul, qu’on aura les épaules pour tout gérer. Il faut être à plusieurs, être soutenu, être accompagné.

Avez-vous le sentiment que les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer sont réceptives à une aide ? La communication est-elle aisée avec elles ?

Cela dépend des personnes. Certaines, face au traumatisme de la maladie, mettent en place un mécanisme de défense qu’on appelle « le déni », parce que le seul moyen de se protéger c’est de faire comme si celle-ci n’existait pas.

Il est souvent trop douloureux de reconnaître les troubles qui s’installent en elles. Cela se respecte, mais dans ce cas, il est plus difficile de les soutenir.

En revanche, d’autres personnes ont la possibilité de faire face et réclament du soutien psychologique car la maladie attaque la confiance en soi, l’estime de soi. Il faut restaurer cela, les aider à renoncer à certaines activités, tout en les encourageant à poursuivre et entreprendre des choses qu’elles peuvent encore faire.