Alzheimer : Et si l’éducation thérapeutique s’adressait aussi… aux aidants ?

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Alzheimer : Et si l’éducation thérapeutique s’adressait aussi… aux aidants ?

Si l’éducation thérapeutique a démontré toute sa légitimité pour les patients atteints de maladies chroniques, tels que le diabète de type 2 ou l’asthme, sa pertinence pour les personnes atteintes de déficits cognitifs ou de troubles mentaux interroge encore. Et si la solution résidait tout simplement en l’éducation thérapeutique des aidants accompagnant ces personnes au quotidien ? C’est en tout cas le pari osé par une équipe pluridisciplinaire de l’hôpital de jour de l’hôpital Broca qui a développé un programme d’éducation thérapeutique pour des aidants de personnes malades d’Alzheimer. Les explications de la psychologue Sandra Boespflug-Rebibo.

On connaissait l’éducation thérapeutique des patients… Vous avez choisi de développer un programme destiné aux aidants de personnes malades d’Alzheimer. Pouvez-vous nous présenter votre programme ?

Sandra Boespflug-Rebibo : C’est un programme que nous avons initié en 2012 après que chacun des professionnels de l’équipe ait suivi une formation dédiée à l’éducation thérapeutique. C’est vrai que notre programme se démarque des autres au sens où il s’adresse à des aidants, mais qui plus est à des aidants de personnes atteintes d’une maladie neurodégénérative. Il faut dire que l’hôpital Broca s’est particulièrement spécialisé dans la prise en charge de ces patients. Cependant, apporter une éducation thérapeutique à une personne malade qui souffre de troubles cognitifs évolutifs est compliqué, c’est pourquoi il nous est apparu intéressant de travailler avec l’aidant tout en associant au maximum la personne malade. En effet, la prise en soin repose largement sur l’aidant qui va avoir à compenser la perte d’autonomie de son proche. Les groupes d’aidants qui suivent notre programme d’éducation thérapeutique sont majoritairement composés de conjoints ou d’enfants de personnes malades. Nous formons des groupes de 5 ou 6 personnes. L’effectif réduit permet à chacun de trouver plus facilement sa place et de disposer d’un temps de parole conséquent. Le programme dure 7 semaines à raison d’une séance de deux heures par semaine. Depuis 2012, 89 personnes ont suivi notre programme d’éducation thérapeutique.

Comment l’aidant s’organise-t-il pour mettre en place un relais auprès de son proche malade ?

La participation est gratuite. Cependant, nous demandons à l’aidant qu’il s’engage à participer aux 7 séances du programme. C’est une réelle contrainte car il est parfois compliqué pour l’aidant de confier son proche ou de le laisser seul, même si les séances ne durent que deux heures. Pour certains aidants du groupe, le proche malade fréquente l’hôpital de jour de Broca, lequel peut constituer un relais. L’idéal aurait été que le patient puisse bénéficier d’une prise en charge – un groupe de stimulation cognitive par exemple – pendant que l’aidant participe lui au groupe d’éducation thérapeutique.

Les premières initiatives d’éducation thérapeutique du patient, dans le domaine de la maladie d’Alzheimer, remontent à 2005. Que sait-on aujourd’hui sur l’impact et les bénéfices de tels programmes. Votre programme fait-il, quant à lui, l’objet d’une évaluation ?

Il faut avouer que très peu d’études ont jusqu’ici évalué les bénéfices et les limites des différents programmes d’éducation thérapeutique. C’est pourquoi, dans le cadre de notre programme d’éducation thérapeutique des aidants de personnes malades, nous tenions à évaluer le dispositif en recueillant les ressentis des participants et de l’équipe de soin. Il s’agit de mesurer le fardeau des aidants et de voir si celui-ci s’allège. Cette évaluation s’appuie sur des questionnaires distribués aux aidants, au début et à la fin du programme. Pour l’heure, nous n’avons pas encore publié nos résultats mais cela reste l’objectif dans un souci de partage d’expérience.

Avez-vous d’ores et déjà pu tirer des conclusions ?

Oui, bien entendu. Les premières analyses montrent toute la pertinence du dispositif. Cette évaluation est d’autant plus pertinente qu’elle s’appuie sur l’échelle de Zarit qui évalue la charge émotionnelle, physique et financière que représente l’accompagnement d’une personne en perte d’autonomie chez l’aidant.

Dans notre analyse, dans la majorité des cas, nous avons observé une diminution du fardeau des aidants, mais aussi du stress et des temps de dépression. De manière intéressante, nous avons noté que lorsque le fardeau augmentait, cela était lié à la prise de conscience par l’aidant de son rôle et de son engagement.

La première chose que nous montrons aux aidants, c’est que leur engagement n’est pas une chose normale et qu’il est important qu’ils prennent du temps pour eux, qu’ils ne culpabilisent pas de ne pas pouvoir tout faire. Notre objectif final reste d’améliorer la qualité de vie de l’aidant et du patient, et de retarder le moment de l’institutionnalisation.

Votre programme d’éducation thérapeutique s’appuie sur une intervention pluridisciplinaire. Pouvez-vous nous la détailler ?

Différents profils interviennent : un médecin, une infirmière, un pharmacien, deux neuropsychologues, une assistante sociale, une ergothérapeute, deux diététiciens et une orthophoniste. Un entretien individuel initial est mené par la psychologue, en l’occurrence moi-même, pour déterminer les besoins de l’aidant et ses capacités à s’intégrer au groupe. Pendant les sept semaines, les professionnels interviennent chacun leur tour et en fonction de thématiques prédéfinies : la maladie et les traitements, les aides et les droits des familles, l’institutionnalisation, la succession, la mise sous tutelle ou sous curatelle, la stimulation de la mémoire pour préserver les capacités de langage et de mémoire, l’aménagement du domicile, l’organisation des menus, la gestion du stress, de la culpabilité, la communication non verbale etc. Une synthèse avec la psychologue permet d’évaluer les besoins qui restent à couvrir et d’envisager des actions spécifiques à mettre en place. Nous ne les abandonnons pas dans la nature à la fin du programme… Des soutiens psychologiques sont par exemple mis en place.

Quelle est la place de la personne malade dans ce dispositif ?

Concrètement, nous n’avons dans le cadre de ce programme, aucune interaction avec la personne malade. Les répercussions sont indirectes. A travers l’aidant, nous souhaitons favoriser et valoriser les capacités préservées de la personne. En soutenant l’aidant, nous ambitionnons de ralentir la progression de la perte d’autonomie. »

Cet apprentissage n’incite-il pas l’aidant à décider tout le temps à la place de la personne malade ?

Non, l’aidant n’est pas là pour faire à la place de la personne malade mais au contraire pour faire avec la personne malade. C’est toute la subtilité de l’accompagnement auquel il faut former à l’aidant. Bien entendu, cela dépend en grande partie du stade de la maladie.

De notre côté, nous essayons d’adapter notre programme à chaque situation. C’est pourquoi, avant chaque séance, un entretien individuel est réalisé avec chaque aidant, une sorte d’état des lieux. Au sein de l’hôpital, nous avons également mis en place la consultation appelée « fragilité aidants ». Elle nous permet d’évaluer la situation de l’aidant et d’envisager les solutions adaptées à ses besoins spécifiques.

Une proposition de participer à notre programme d’éducation thérapeutique peut tout à fait découler d’une consultation fragilité aidants.

Quels sont aujourd’hui, selon vous, les freins au développement de l’éducation thérapeutique de l’aidant ?

Nous avons remarqué que les hommes étaient, au départ, plus réticents à participer aux séances en groupe mais que ces réticences s’estompaient dès les premières rencontres pour se transformer en de réelles attentes. Il nous faut de notre côté améliorer l’information à destination de ce public, même si aujourd’hui au regard de nos moyens humains et matériels, nous ne sommes pas en mesure d’accueillir plus d’aidants. Pour autant, il serait important de développer ce type de programmes d’éducation thérapeutique, notamment dans les consultations mémoires. Il faut garder en tête que longtemps, l’attention s’est portée à juste titre sur la personne malade mais que l’aidant a littéralement été oublié de la prise en soin. Or, si l’aidant ne va pas bien, c’est tout le système de prise en soin de la personne malade qui est fragilisé… Sans un aidant, beaucoup de personnes malades seraient hospitalisées ou accueillies en établissement : imaginez le coût pour la société ! Nous devons prendre soin de nos aidants !

Un dernier message à tous les aidants de personnes malades ?

S’informer est une chose mais il convient de s’entourer de professionnels qui vont vous aider à décrypter toutes les informations. L’accompagnement de la personne malade est un travail collectif. Prenez soin de vous et ne vous isolez pas ! Il existe une vie qui doit faire abstraction de la maladie. Si l’aidant prend soin de lui, qu’il est informé et bien accompagné, alors il sera mieux armé pour faire face à la maladie et ses conséquences.