Axel Kahn : « les maladies rares ne sont pas toutes génétiques »

Maladies rares
Axel Kahn : « les maladies rares ne sont pas toutes génétiques »

Célèbre généticien français, Axel Kahn a largement contribué au développement de la thérapie génique et à l’amélioration de la prise en soin de nombreuses pathologies dites rares. Entre précisions cliniques et thérapeutiques, état des lieux de la recherche scientifique et appel à la mobilisation de tous, le chercheur-essayiste revient pour Voix des patients sur les enjeux de la thérapie génique et cellulaire.

Toutes les maladies rares (ou orphelines) sont-elles d’origine génétique ?

Non, en aucun cas. Ce serait une grave erreur de croire cela. Parmi les maladies rares, il existe bien entendu des maladies d’origine génétique mais il existe aussi d’autres types de maladies, notamment des maladies auto-immunes très rares, d’autres encore très graves, parfois mortelles. A titre d’exemple, je citerai certaines maladies cutanées ou encore la gravissime pancréatite aiguë hémorragique. Je le répète, les maladies rares n’ont pas toutes une origine génétique, et inversement les maladies d’origine génétique ne sont pas toutes rares.

La recherche française est d’une vitalité remarquable »

Quand on évoque les maladies génétiques en particulier, et plus précisément les solutions thérapeutiques pour y faire face, la thérapie génique et la thérapie cellulaire sont régulièrement avancées. Ces solutions sont-elles exclusives ?

La communauté scientifique a développé et dispose aujourd’hui de plusieurs types de thérapies pour traiter une maladie génétique : la thérapie génique, la thérapie cellulaire mais aussi d’autres types de thérapie comme la thérapie hormonale (hormonothérapie)… C’est pourquoi il ne faut pas établir de corrélation directe entre maladie génétique et indications de thérapie génique ou cellulaire. Pour preuve, une maladie génétique comme le myxœdème congénital sera traitée par ingestion d’hormones thyroïdiennes.

Autre exemple : il existe une forme de myopathie méditerranéenne très grave liée à l’anomalie d’un gène qui code normalement un transporteur de la vitamine E. Or, la pénétration de la vitamine E dans les cellules musculaires est nécessaire au bon développement du muscle. L’anomalie du gène concerné perturbe donc le développement des muscles de la personne malade. L’administration au patient de doses très importantes de vitamine E qui, par diffusion passive, va pénétrer dans les muscles, est ici un traitement très efficace.

Comment définiriez-vous la thérapie génique et la thérapie cellulaire?

Comme son nom l’indique, une maladie génétique est liée à l’anomalie d’un gène qui, en général, code une protéine. Du fait de la mutation, cette protéine soit n’est plus synthétisée, soit est anormale. Par conséquent, le principe de la thérapie génique est assez simple à comprendre : il s’agit de remplacer ou de réparer le gène anormal pour assurer la production normale de la protéine. Cette approche thérapeutique est privilégiée pour certaines maladies génétiques.

Pour d’autres, les médecins vont avoir recours à la thérapie cellulaire. En effet, quand l’anomalie d’un gène perturbe directement le fonctionnement cellulaire, deux possibilités s’offrent aux médecins : réparer le gène anormal ou alors greffer des cellules, voire un organe dont les gènes sont sains. Cette forme de thérapie est notamment utilisée dans le cadre de maladies graves du foie où l’on va greffer un foie disposant de gènes normaux. Au final, une maladie génétique peut se soigner en réparant le gène anormal, ou en apportant des cellules ou un organe dont les gènes sont normaux.

Dans cet engagement face aux maladies rares, la recherche française jouit-elle d’une position particulière ?

La France est l’un des pays où la thérapie génique a très tôt démontré une vitalité assez remarquable. Pour preuve, plusieurs des premières expérimentales ou thérapeutiques de thérapie génique ont été réalisées par des équipes françaises. Je ne ferai pas preuve de chauvinisme déplacé en affirmant que la France et les chercheurs français ont toujours été moteurs dans l’étude des maladies génétiques et la découverte des gènes responsables de ces maladies.

Face aux maladies rares, chacun a son rôle à jouer… »

Cette recherche très active sur les maladies rares profite-t-elle à l’enrichissement des connaissances sur des pathologies plus communes ?

Oui naturellement. La thérapie génique constitue un véritable laboratoire d’innovation. Elle met en jeu une grande partie des progrès réalisés dans les domaines de la biologie cellulaire et moléculaire. Bien souvent, les recherches menées dans le cadre des maladies rares servent à mieux comprendre le mécanisme de maladies communes, et chercher à les traiter. Et cela ne concerne pas uniquement la recherche en thérapie génique mais toute la recherche scientifique dans son ensemble.

Au regard des progrès de la recherche mais aussi face aux questionnements que suscite la recherche, quels messages souhaitez-vous transmettre aux patients, aux chercheurs, au grand public et aux décideurs politiques ?

J’aimerais assurer les patients directement concernés par une maladie dite rare que depuis quelques années, des progrès thérapeutiques considérables ont été réalisés. Aujourd’hui, une maladie rare n’est plus envisagée comme une manifestation désespérante du destin, ou de la fatalité. C’était pourtant le cas quand j’ai commencé à travailler sur les maladies génétiques il y a 40 ans. Certes, nous n’avons pas encore de traitement curatif pour chaque maladie génétique, mais il n’est pas question de baisser les bras. Pour preuve, un nombre croissant de maladies génétiques font, à l’heure actuelle, l’objet de stratégies thérapeutiques variées (génique, cellulaire, greffe d’organes, molécules).

Devant ces perspectives encourageantes, l’espoir ne doit pas faiblir. Quant aux chercheurs, je les sais entièrement mobilisés et conscients de l’intérêt de cette recherche face à des affections dont ils mesurent mieux que quiconque la cruauté. Je les invite donc à persévérer dans leur enthousiasme. »

En tant que citoyens, il est important de rappeler aux politiques qu’ils se doivent de créer les conditions permettant une vie la moins malheureuse possible, en venant en aide aux personnes affectées par des maladies, des handicaps ou tout autre malheur. Pour une nation scientifiquement développée comme la nôtre, il est obligatoire de consacrer les moyens nécessaires pour entretenir l’espoir des familles et l’enthousiasme des chercheurs.

Enfin, je rappellerai au grand public que, certes toutes ces maladies témoignent d’une humanité affectée, mais que d’un autre côté, il existe aujourd’hui une énergie fantastique déployée pour affronter cette réalité cruelle. Il revient donc à chacun d’entre nous de participer à cette belle aventure face à la maladie en suivant les progrès réalisés et en manifestant sa générosité à travers toutes les occasions qui nous sont données.