Cachez cette maladie que je ne saurais voir !

Cachez cette maladie que je ne saurais voir !

Choc de l’annonce, prise de conscience de nouvelles contraintes et obligations, acceptation progressive des pertes ou des privations… : le patient passe par différentes phases pour intégrer la réalité de la maladie. Le déni, présenté comme un mécanisme de défense psychologique, peut faire partie de ces étapes…

Parce que le terme est étroitement associé à l’expression « acceptation de la maladie », de plus en plus de professionnels de santé lui préfèrent le terme d’appropriation. Quoi qu’il en soit, face à l’arrivée d’une pathologie aux contraintes plus ou moins marquées dans la vie du patient, ce dernier va initier un cheminement souvent non linéaire pour apprendre à vivre avec la maladie. Tout comme les proches d’ailleurs.

L’héritage de Freud

« L’action de refuser la réalité d’une perception vécue comme dangereuse ou douloureuse fait partie des mécanismes de défense » : c’est en ces termes que le concept du déni en psychopathologie a été théorisé par Freud au début des années 1900. Un siècle plus tard, le neurologue allemand, fondateur de la psychanalyse, oriente toujours les réflexions de nombreux professionnels de santé appelés à accompagner leurs patients pour mieux vivre la maladie. Tous nourrissent le même objectif : aider les personnes malades à lever le paradoxe du déni en santé. Car paradoxe, alors que ce mécanisme a vocation à vous défendre, il vous rend au contraire parfois plus vulnérable physiquement et psychologiquement…

L’appropriation plutôt que l’acceptation

Le diabète fait partie de ces pathologies chroniques où l’observance thérapeutique est essentielle, surtout pour les patients insulino-dépendants. Refuser la réalité n’est, en théorie, pas envisageable. « Cela reviendrait à ne pas se soigner. Pour être franc, le déni a ici peu de sens puisque le patient aurait beau nier la maladie, elle se rappellerait rapidement à lui, presque de manière instantanée. Voilà pourquoi, dans ma relation avec les jeunes diabétiques et leurs proches, je ne parle ni de déni, ni d’acceptation. Ces termes sont, à mon sens, inappropriés quand on évoque la vie avec une maladie chronique », tempère la psychologue clinicienne Nadine Hoffmeister. Et de poursuivre pour justifier ses propos : « L’acceptation est à mettre en relation avec la notion de deuil. Or, tous les patients atteints d’une maladie chronique ne font jamais vraiment totalement le deuil de leur vie avant la maladie. On n’accepte jamais une maladie, on vit avec parce qu’on n’a pas le choix. Mais vivre avec une maladie chronique, ce n’est pas linéaire. Il ne s’agit pas d’accepter une bonne fois pour toutes et que tout aille bien ensuite. »

Il s’agit plutôt d’un cheminement où on va apprendre à vivre avec la maladie car on ne peut pas faire autrement. Il y aura des hauts et des bas…

Voilà pourquoi cette professionnelle de santé qui officie au sein de l’association Aide aux Jeunes Diabétiques (AJD) préfère parler « d’appropriation progressive ». Elle n’est d’ailleurs pas la seule puisque de plus en plus d’acteurs du soin privilégient ce terme associé, selon eux, à une stratégie active du patient pour mieux vivre avec sa maladie, à la différence de l’acceptation qui renvoie à la notion de passivité. Il n’en reste pas moins que l’appropriation d’une maladie peut s’avérer être un cheminement très complexe. Qui plus est quand les effets d’une non-observance thérapeutique ou de recommandations cliniques ne se feront sentir qu’à long terme. « Un diabétique dont l’appropriation de la maladie serait difficile peut à terme développer des complications alors qu’à l’instant T il se sent très bien et plus fort que la maladie… Il n’a pas de problèmes aux yeux, ni aux reins, ni aux pieds… L’adolescence, c’est l’insouciance du ici et maintenant. Or, les conséquences viendront plus tard, d’où l’importance de travailler rapidement et régulièrement à une appropriation progressive par le patient, de lui faire prendre conscience de l’enjeu médical, d’écouter ce qu’il a à dire, comment il vit la maladie, la manière dont elle s’intègre dans son quotidien, dont elle vient modifier la relation avec son entourage, sa famille et ses amis… », souligne Nadine Hoffmeister. Ce constat va permettre de repérer et d’anticiper les difficultés (poursuite ou non du sport, les relations amicales, régime alimentaire…). Il va aussi et surtout aider à adapter la maladie à la vie quotidienne du patient et non l’inverse.

Accompagner et écouter le patient

Cette écoute du patient s’avère d’autant plus importante dans la prise en soin lorsqu’il s’agit d’un public jeune qui a tendance à considérer qu’il vaut mieux se faire du mal plutôt que de paraître faible ou dépendant. « N’oublions pas que l’adolescence est une période où on a soif de liberté et que l’annonce d’une maladie chronique ainsi que les contraintes thérapeutiques qui l’accompagnent bien souvent, peut apparaître liberticide », renseigne la psychologue de l’AJD. À l’Homme libre en bonne santé, la maladie chronique renvoie l’image d’une personne en proie à des fragilités, des contraintes, des règles, à une présence renforcée de l’entourage. En d’autres termes : plus que la négation de la maladie ou le déni d’une réalité, les comportements de non-observance du protocole thérapeutique chez les patients atteints d’une maladie chronique traduisent davantage des tentatives d’émancipation, de reprise du contrôle. Ces réactions s’inscrivent dans ce cheminement nécessaire de la réappropriation de la maladie qui participe à intégrer par soi-même les contraintes associées, au lieu d’être dans une position passive d’obéir à une injonction extérieure.

Encore une fois, ce n’est pas ce que j’appellerais du déni mais plutôt un étape vers une prise de conscience plus complète de la situation. Le patient va intégrer, petit à petit, une partie des informations données. L’idéal est de ne pas le laisser cheminer seul mais au contraire de l’accompagner et de l’écouter.

La maladie se vit collectivement

Comprendre et s’approprier une maladie chronique ne répondent pas à un processus standard. Tout dépend de la personnalité et du rythme de vie de chacun, même si certains diagnostics sont évidemment plus compliqués à intégrer. Qui plus est si les fonctions cognitives de la personne (comme le jugement ou le lien avec la réalité) sont atteintes. C’est là que l’intervention des proches de la personne malade prend tout son sens. La maladie chronique concerne bien évidemment, en premier lieu, la personne malade mais elle vient aussi perturber la vie de tout le cercle familial qui lui aussi peut rencontrer des difficultés à se l’approprier. Le terme de déni est ainsi souvent évoqué chez les aidants – enfants ou conjoints – de personnes malades d’Alzheimer (ou d’une maladie apparentée). « S’approprier la maladie de ses parents ou de ses enfants est souvent très difficile. Le diagnostic est pour ces derniers un bouleversement voire une catastrophe. Ils se retrouvent dans un rôle de soignants, à devoir comprendre la maladie et gérer un traitement à la maison. Cela implique une forte charge mentale. Pour le patient, cette présence renforcée des aidants est une sorte de régression. Les proches doivent trouver un équilibre entre laisser respirer la personne malade sans jamais la laisser tomber. Pour parler des parents de jeunes malades, l’enjeu est de ne pas aller à l’encontre de l’émancipation ou de la volonté affichée de sortir d’un lien de dépendance avec ses parents pour décider de façon autonome, volontaire et responsable de se soigner par appropriation des contraintes : c’est ce cheminement que les parents doivent accompagner. Cela demande de faire confiance et d’apaiser ses propres angoisses. Pour les patients adultes, il s’agit de travailler autour du lien et de la relation thérapeutique avec le médecin car avoir une maladie chronique, c’est être dans une relation de dépendance au médecin », précise la psychologue. L’appropriation de la maladie se vit de manière collective. Au-delà des proches, les associations de patients représentent une aide précieuse pour apprendre à mieux vivre avec la maladie, à mieux appréhender une situation nouvelle à laquelle le patient et ses proches sont confrontés. À cet effet, elles sont bien souvent accessibles partout en France et collaborent généralement avec les structures de soins locales dans une logique pluridisciplinaire et transversale.

M-FR-00007985-1.0 – Établi en janvier 2023