Comment annoncer une maladie grave à un patient ?

Cancers
Comment annoncer une maladie grave à un patient ?

Basculer du statut de « personne bien portante » à celui de « patient » n’est pas chose aisée et ce d’autant plus qu’il s’agit d’une pathologie lourde. Comment le soignant (médecin ou infirmière) chargé de l’annonce doit-il s’y prendre ? Comment ne pas se laisser envahir par la détresse de celui ou celle dont la vie va subitement changer ? Comment trouver les bons mots ?

Annoncer à un patient qu’il est atteint d’une maladie grave est une démarche compliquée. Julie Abraham est médecin dans le Service d’Hématologie Clinique et Thérapie Cellulaire du CHU de Limoges.

« Tenir des propos clairs et honnêtes »

Régulièrement, elle doit porter à la connaissance de patients qu’ils sont atteints de maladies graves à l’occasion d’une « consultation d’annonce ». « Souvent, les patients ne comprennent pas tout de suite. C’est quand je commence à parler de chimiothérapie qu’ils réalisent alors que c’est un cancer. L’information délivrée doit s’adapter à ou aux interlocuteurs, certains sont dans la sidération et ne sont plus réceptifs, tandis que d’autres sont très demandeurs de précisions ». Idéalement, à la fin de la consultation, le patient doit avoir compris son diagnostic et la teneur du traitement envisagé, il doit également, dans la mesure du possible, se sentir accompagné par l’équipe médicale et paramédicale.

Il est nécessaire, à mon sens, de tenir des propos clairs et honnêtes, mais aussi des propos rassurants : nous ne sommes pas démunis face à cette situation, nous allons mener ce traitement ensemble, vous n’êtes pas seul, l’objectif est de vous guérir.

Le choix des mots est important. Pour certains patients, la surprise est assez modérée car un diagnostic avait déjà été porté, que leurs analyses étaient souvent mauvaises ou qu’il y a de nombreux antécédents dans la famille. Pour d’autres, c’est un réel tsunami. Une infirmière d’annonce est souvent présente pour assister à l’entretien, dépister les fragilités sociales ou psychologiques, mettre en œuvre une prise en charge multidisciplinaire et, enfin, pour reformuler, accompagner le patient et son entourage au décours.

Expliquer que leur vie va être différente

L’exercice de l’annonce est d’autant plus difficile que le médecin est jeune. Certains modules d’enseignement précisent les conditions d’annonce, des modules optionnels sont proposés aux étudiants en médecine dans certaines facultés. « Il m’arrive d’avoir à mes côtés des étudiants qui assistent à la consultation. Ils apprennent au lit du malade, comme je l’ai fait également, en écoutant, par mimétisme, on s’approprie certaines façons d’être, certaines formules. »

Lui arrive-t-il d’être en proie à l’émotion ? Oui, parfois. « Il arrive que les patients craquent, pleurent. Régulièrement, ils se demandent pourquoi eux. Il peut arriver qu’on soit touché en tant que personne, mais c’est notre rôle de médecins de faire la part des choses, et de ne pas succomber. Nous ne sommes ni leurs amis, ni leurs proches, mais leurs soignants. Cela n’exclut pas l’empathie évidemment. Je leur explique que leur vie va être différente dans les mois à venir et vraisemblablement après car ils verront les choses différemment, il n’empêche qu’on parle de VIE », précise-t-elle. Y a-t-il des consultations plus difficiles que d’autres ?

Certaines situations sont particulièrement délicates ; par exemple, l’annonce à un patient très jeune, l’évocation de certains diagnostics ou encore quand il faut faire part d’une rechute. Dans ce dernier cas, on connaît les patients et leurs proches, un lien s’est créé au fil du temps, nous sommes confrontés ensemble à un échec, à une déception.

Ne pas sous-estimer la dimension culturelle

« Il est important que le soignant ne fasse pas de transfert. On peut imaginer que le patient lui fasse penser à son père, à sa grand-mère… ou qu’une situation ait une résonance particulière chez lui », estime Thierry Calvat. En tant que sociologue et président de JuriSanté, il s’est interrogé sur la question de la vulnérabilité : « il s’agit de voir non pas seulement les externalités négatives mais aussi les externalités positives. J’ai matérialisé cette conviction en créant un laboratoire d’idée : le Cercle Vulnérabilités et Société, qui rassemble une quarantaine d’entreprises, d’associations, fédérations autour d’une idée assez simple, c’est que derrière chaque situation de vulnérabilité, il y a un potentiel qu’on doit pouvoir valoriser ». Selon lui, n’y a pas une formule de consolation qui marche mieux qu’une autre, tant la situation varie selon les personnes : « pour certaines, le fait de ne plus pouvoir travailler est une calamité car l’environnement professionnel représente toute leur vie. Pour d’autres, c’est un soulagement, car ils évoluaient dans un environnement qu’ils considéraient comme toxique ».

Parallèlement, la question du pourquoi de la survenue de la maladie – qu’ai-je fait ? qui a fauté ? – est souvent centrale pour le patient. Il souligne aussi que l’appartenance à telle ou telle culture peut impacter la façon dont est perçue l’annonce, certaines d’entre elles versant par exemple plus facilement dans l’expression de leurs émotions tandis que d’autres feront davantage preuve de fatalisme. Une réalité que confirme Julie Abraham. Elle a pu constater que les patients de culture anglo-saxonne perçoivent l’information de façon plus factuelle et beaucoup moins émotionnelle. « Ce qui complique parfois la donne, c’est lorsque nous devons annoncer la nouvelle à des personnes fragilisées psychologiquement, ou à des personnes qui ne parlent pas français. La langue est une barrière. Même si nous avons des traducteurs, on ne sait jamais très bien comment les choses sont traduites », explique-t-elle.

Une fiction pour sensibiliser à l’annonce

Tous deux se sont impliqués dans un très beau projet, coordonné par Roche et co-construit avec des hématologues, des infirmières, des psychologues… L’objectif ? Sensibiliser les hématologues, et plus largement l’ensemble des professionnels de santé, à ce difficile sujet de l’annonce. Pour cela, une mini-série vient de voir le jour. Baptisée Virages, elle met en scène des personnages, interprétés par des comédiens. Les épisodes font progresser une intrigue mettant en scène des soignants, des patients et leurs proches, lesquels jouent un rôle essentiel. À la fin de chaque épisode, une onco psychologue propose un décryptage pour analyser les ressentis de ces différents protagonistes. Des épisodes qui s’adressent à toutes et à tous (qu’on soit patient, médecin ou aidant) et qui touchent profondément tant ils sont empreints d’une profonde humanité. Le début de vie avec une maladie bouleverse inévitablement. Par la médiation de la fiction, il s’agit de de souligner l’importance du tournant que constitue l’annonce et d’évoquer comment il convient donc de le « soigner » tout particulièrement !

M-FR-00006952-1.0 – Établi en juin 2022