Maladie psychique : « Ce qui compte pour moi, c’est le présent et l’avenir »

Maladie psychique : « Ce qui compte pour moi, c’est le présent et l’avenir »

Maman d’une jeune fille atteinte d’une maladie psychique, Marion a raconté à Voix des Patients son quotidien. Et la façon dont sa vie et celle de sa famille ont été transformées.

Comment vous êtes vous rendue compte de la maladie de votre fille Estelle ?

Pour être sincère, j’ai toujours eu l’intuition que quelque chose n’allait pas. Mais on finit par s’habituer même à ce qui ne paraît pas normal. Je l’ai tout de même emmenée consulter une psychologue de la PMI alors qu’elle n’avait que deux ans. On m’a dit que tout allait bien. Les maladies psychiques sont très difficiles à détecter. Et comme ma fille est très intelligente, elle a très bien dissimulé.

Quel est le diagnostic exact ?

Les psychiatres parlent de troubles envahissants du développement (TED), c’est souvent ce que l’on met quand on ne sait pas très bien ce qu’il en est. Ce diagnostic est d’autant plus incertain qu’il y a autant de pathologies que de maladies.

Comment avez-vous fait face ?

Parce que son état était trop critique pour qu’elle reste avec nous, Estelle est entrée à l’hôpital à 11 ans. Elle aura 19 ans bientôt et depuis, elle n’en est quasiment pas sortie.

Peut-on parler de dépression la concernant ?

Tout a commencé par de l’anorexie, puis elle a été atteinte par une mélancolie gravissime. Cette forme de dépression a débouché sur son hospitalisation. J’ai arrêté de compter les tentatives de suicide après un an d’hôpital. Chaque fois que le téléphone sonnait, et que je voyais écrit « Hôpital de la Pitié » sur l’écran, je craignais que le pire ne soit arrivé. Dans son cas, ce n’était pas contrairement à beaucoup d’adolescents juste des appels au secours, elle avait sincèrement le sentiment qu’après il n’y aurait plus de souffrances.

Comment est- ce que vous avez réussi à tenir le coup ?

Tout d’abord, je dois reconnaître que l’EMDR m’a beaucoup aidée. C’est ce qui me permet de vous parler de tout cela sans fondre en larmes. Par ailleurs, j’ai changé de métier pour d’une part être plus flexible au niveau de la gestion de mon temps, mais aussi pour aider les autres.

J’ajoute que je suis une fan de séries. Cela peut paraître incongru de le mentionner ici, mais cette réalité explique que j’ai toujours envie de connaître l’épisode suivant.»

Autre atout, j’ai la chance d’avoir une capacité à oublier le passé. Ce qui compte pour moi, c’est le présent et l’avenir. Enfin, je viens d’une famille où on a beaucoup le sens de l’humour, à mes yeux, c’est la politesse des désespérés.

Du coup, votre fille n’a jamais pu être scolarisée ?

Gaëlle a été scolarisée normalement à l’hôpital, mais un peu de bric et de broc ; il y a l’école en service de pédopsy, assurée par l’Education Nationale jusqu’à la fin de la 3ème, puis par des bénévoles de l’association « l’Ecole à l’Hôpital », dans la mesure de leurs moyens, avec des professeurs bénévoles (en tout cas à la Pitié).

Le plan autisme n’a t il pas amélioré la donne ?

Les unités de 15 disposent de 2 toilettes ; dans l’unité où ma fille va le week-end, le loquet de l’une d’elle est cassé depuis 6 mois. Ce sont les jeunes autistes qui étaient dans les unités de soins intensifs ; une seule unité dédiée aux autistes a été ouverte (il y a 2 ans si ma mémoire est bonne), mais les enfants et les adultes y sont mélangés.

Vous dénoncez des retards de diagnostic ?

Oui, très clairement. En France, les autistes sont détectés vers 7 ans, alors que le diagnostic peut se faire en général entre 2 et 3 ans. Le problème, c’est que 18 mois, c’est précisément le temps qu’il faut attendre pour un rendez-vous. En Finlande, 100 % des autistes sont scolarisés au milieu normal, alors qu’en France ce taux chute à 10 %. C’est en partie lié aux fait qu’on ne les détecte pas en bas âge, et que plus on tarde, plus il est compliqué d’agir. Pour l’accompagnement en milieu scolaire, il y a aussi un manque de moyens et de formation des enseignants.

Votre famille a du être très chamboulée par la maladie d’Estelle ?

Mon fils a pris tout cela en pleine figure nous avons passé des années à vivre en état de stress permanent. Heureusement, il a bénéficié de la compréhension et de la gentillesse du corps enseignant dans son lycée. Ils ont été extraordinaires. Évidemment, on se sent seuls et impuissants. Nos deux familles ont mis très longtemps à comprendre, c’est difficile quand on est aux premières loges, mais c’est sans doute plus difficile encore pour les grands-parents qui ne comprennent vraiment rien à ce qui se passe.

Ma belle-mère m’a dit un jour : « il faudrait qu’Estelle se décide à aller mieux ». Si elle avait eu une leucémie, on ne m’aurait jamais dit ce genre de choses. Comme si on pouvait décider d’aller mieux !!

Avez-vous réussi à communiquer avec votre fille pendant toutes ces années ?

Je n’ai pas réussi à échanger autant que je l’aurai voulu. Elle n’a pas parlé pendant plus de 14 mois. La seule phrase qui est sortie de sa bouche après plus d’un an de mutisme était adressée aux médecins qui tentaient de lui confisquer un livre sur le suicide, elle leur a dit : « vous n’êtes qu’une bande d’incompétents ».

Tout cela a du beaucoup vous changer ?

Bien sûr. On a tenté toutefois de faire en sorte de ne pas être juste « en colère », mais de construire, mon mari a la chance de travailler dans une coopérative qui l’a beaucoup soutenu. Son patron lui a permis de s’organiser comme il voulait afin qu’il puisse être présent pour sa fille. Il faisait 35 heures en trois jours pour se libérer afin de nous accompagner à l’hôpital.

La maladie isole énormément car il est très difficile d’en parler avec les gens. La maladie tout court déjà fait peur, mais la maladie psychique terrorise.

Beaucoup de personnes changeaient de trottoir en me voyant. Ce n’était évidemment pas les plus malines et cela m’a permis de faire du tri. J’ai constaté que beaucoup de gens pouvaient m’énerver, quand il se plaignaient pour une fuite d’eau qu’il qualifiaient d’épouvantable. Ou quand certains s’indisposaient parce que leurs enfants n’avaient pas eu une note de maths à la hauteur de leurs espérances. Cela permet toutefois de relativiser beaucoup plus, et de mettre les choses en perspective.

Et votre fille, comment va-t-elle aujourd’hui ?

Sa passion pour la peinture lui permet de s’en sortir. Elle peint entre 3 et 7 h par jour. Elle devrait même sortir de l’hôpital bientôt, après y avoir séjourné 8 ans !

 

Quelques conseils pour faire face en tant qu’aidants :

  • Parler au corps enseignant mais aussi aux médecins scolaires quand on a d’autres enfants, car ils peuvent être d’une grande aide pour expliquer aux professeurs ce qui se passe réellement
  • Se ménager du temps pour prendre soin de soi (quitte à se remettre en question – une psychothérapie peut aider), que ce soit avec l’aide d’un psy, par la pratique d’un art, d’un sport, etc. Ce n’est pas de l’égoïsme (et il faut s’en convaincre d’abord soi-même), c’est juste qu’on ne peut pas faire face et aider son enfant si on ne va pas suffisamment bien soi-même.
  • Tenter autant que possible de relativiser
  • Tenter d’adapter son emploi du temps pour se rendre disponible
  • Bien choisir ses amis
  • Enfin, quand les choses s’améliorent et qu’on voit enfin le bout du tunnel, il faut redoubler de vigilance pour soi-même ; jusque là, on a fait face, on a juste essayé de rester debout ; après, il faut réellement affronter ce qui s’est passé ; ce n’est pas le plus facile !