Après une grossesse assez idyllique et un accouchement un peu compliqué, Yolande met au monde un adorable petit Adrien. Pendant les six premiers mois, elle ne remarque rien de particulier. Son évolution semble normale jusqu’à ce qu’à l’âge de 18 mois, elle observe des mouvements oculaires particuliers. Commence alors un long parcours…
Ce sont ces mouvements qui vous ont alertée ?
Oui, jusqu’alors rien ne laissait présager une pathologie. Puis la marraine d’Adrien nous a signalé que ces mouvements oculaires, qu’on appelle aussi nystagmus, pouvaient être anodins comme graves. Dans un premier temps, nous avons pensé qu’il s’agissait d’un problème d’oreille interne. Il s’est avéré que c’était une fausse piste. Adrien a été suivi dans un hôpital pour enfants, à Robert Debré, où il a subi toute une batterie d’examens, notamment un bilan vestibulaire, autrement dit, on l’a fait tourner de tous les côtés dans un énorme simulateur. C’était très impressionnant et je me demande comment il n’a pas vomi. Puis il a ensuite eu un scanner cérébral, qui nous a permis d’identifier qu’Adrien avait un angiome sur le cortex. Les mouvements oculaires qu’on voyait étaient des prémices de crises d’épilepsie. Le diagnostic a donc été posé à 18 mois.
Comment avez-vous vécu ce moment ?
Son père et moi ne connaissions pas cette pathologie, à laquelle nous n’avions jamais été confrontés. On ne peut qu’être inquiets en tant que parents. Pour ma part, j’ai très mal vécu les premières annonces d’un point de vue psychologique parce qu’on m’a dit que c’était un accident de grossesse, si bien que je me suis culpabilisée. Je me refaisais tout le film, cherchant à comprendre si j’avais eu un choc. On m’a demandé si j’avais eu un accident de voiture, si j’étais tombée… Je me disais que c’était de ma faute en fait, et qu’il s’était passé quelque chose sans que je m’en rende compte. Les médecins n’étaient pas très pédagogues, mais ont quand même tenté de nous rassurer. Nous avons ensuite vu un professeur de neurologie remarquable. Il nous a écoutés, pris au sérieux, et nous a même donné son numéro de téléphone personnel. C’était quelqu’un de très humain. Il nous a expliqué que ce n’était pas opérable, mais pas si grave. Il a dédramatisé le cas d’Adrien.
Existe-t-il tout de même un traitement ?
Oui, et pour Adrien, il a démarré très tôt. Le parcours du combattant a commencé à ce moment-là pour trouver la bonne molécule car il n’y avait pas de médicaments pour enfants. Depuis ses 18 mois, Adrien n’a jamais arrêté d’en prendre. On a changé beaucoup de fois les associations, notamment quand de nouveaux traitements arrivaient sur le marché.
Quel âge a Adrien aujourd’hui et quelles ont été les répercussions sur sa vie ?
Il a 16 ans. Nous avons toujours cherché à épargner sa vie au quotidien afin qu’il puisse vivre normalement. C’est un enfant différent, mais normal. Il y a eu une grosse période d’accalmie quand il était petit, qui a duré 4 ans. C’est un garçon intelligent, et on nous a vite rassurés sur cette question ainsi que sur sa motricité. En revanche, il y a forcément des répercussions sur les apprentissages. Nous avons cherché à le préserver en l’inscrivant dans un établissement privé catholique, où nous pensions qu’il s’épanouirait davantage dans un climat bienveillant.
Précisément, avez-vous expérimenté le manque de bienveillance ?
Disons qu’il y a beaucoup d’ignorance et de non-dits sur cette pathologie. Elle est encore un petit peu assimilée à de la folie. Sans parler des idées reçues. Les gens pensent par exemple qu’il faut mettre un stylo dans la bouche des personnes en crise, or il ne faut surtout rien mettre car c’est contre-productif et même dangereux. La première réaction des gens, c’est aussi de donner une bouteille d’eau alors que les patients en crise ne doivent surtout pas boire, car pour le coup, ils peuvent vraiment s’étouffer. Le regard des autres pour répondre à la question, nous l’avons presque plus mal vécu que lui. Adrien a été très bien entouré assez rapidement entre les équipes pédagogiques, les équipes éducatives, il s’est fait des copains… Bien sûr, il y a eu des remarques dans sa scolarité, mais plutôt de la part d’enfants un peu jaloux parce qu’il avait des aménagements. Inspiré par la campagne de pub « si tu veux ma place de parking, tu prends mon handicap », il répondait en disant, « si tu veux avoir une AVS tu prends aussi mon épilepsie ». Et ça calmait les enfants !
Comment se traduit la vie avec cette pathologie ?
Il y a tout ce qu’on ne voit pas de l’extérieur, à savoir ce qu’on ressent à l’intérieur, les difficultés de concentration, la fatigue, les changements d’humeur, le sommeil agité, l’appétit perturbé… Et puis il y a bien sûr les crises, au cours desquelles les patients font des chutes, perdent connaissance, ont des convulsions… Il peut arriver qu’ils urinent sans s’en rendre compte. Ces crises sont relativement constantes mais très dures à vivre, pour lui comme pour nous, car ça ne prévient pas. Le caractère soudain est compliqué. Ça arrive n’importe où et n’importe quand, ce qui implique d’être extrêmement vigilant. Notamment à la piscine, à la mer, dans un bain…
Concrètement, ça veut dire qu’il n’est jamais seul ?
Il est rarement seul, sauf qu’il est en demande d’autonomie. S’il est très autonome hors crise, en période de crise, il ne contrôle plus rien. Il réalise quand il revient à lui, et c’est douloureux. Il constate qu’il est par terre, et peut éprouver de la gêne. Il y a certainement de la colère et un gros sentiment d’injustice. Nous avons vraiment fait le maximum pour voyager, aller au ski, faire du sport… Il voulait faire du hip-hop, on l’a inscrit. Notre ambition est de limiter autant que possible l’impact de la pathologie. Depuis deux ans, on est suivi à Rothschild car il y a 4 ou 5 ans, on nous a dit que l’angiome était opérable parce que les techniques évoluent.
Adrien a-t-il été opéré ?
Oui car nous avions des raisons de penser que l’opération pourrait le soulager. Une première intervention a eu lieu en janvier 2021 pour essayer d’enlever cet angiome. Et elle a plutôt bien marché, car les médecins en ont enlevé une partie. Nous avons eu sept mois sans crise, alors qu’on en avait en moyenne une par semaine. Ces crises durent entre une et deux minutes, mais sont difficiles. À savoir : si elles dépassent les cinq minutes, il faut appeler le Samu. Nous commencions à souffler un peu, mais ces crises ont repris, si bien qu’il y a eu une seconde opération cérébrale en avril 2022, mais elle a été plus dure pour Adrien. Il en avait assez, bien qu’il soit très volontaire. Cette fois-ci, l’impact a été moindre. Il a refait une crise fin mai et s’est blessé à la main. D’un commun accord, nous avons choisi de le laisser tranquille et de prendre le temps avant d’envisager peut-être une troisième opération. En attendant, il va tester un nouveau traitement pour voir si cela calme ses crises convulsives.
Comment va Adrien ?
Il va bien, même s’il vit mal de ne pas pouvoir faire autant de jeux vidéo qu’il aimerait, car ce n’est pas conseillé pour les épileptiques. On lui accorde quelques parenthèses limitées dans le temps. Dans les parcs d’attractions, il y a certaines choses qu’il ne peut pas faire parce qu’il y a trop de sensations et trop d’émotions, ce qui peut être générateur de stress et provoquer des crises. Il nous parle de conduite accompagnée mais malheureusement quand tu es susceptible d’avoir des crises, tu ne peux pas passer le permis. Nous, on l’écoute beaucoup et on essaie de lui faire confiance. S’il est invité à des anniversaires, on a toujours accepté mais on prévient les parents. On tente de trouver un équilibre pour ne pas le mettre en danger mais en lui laissant suffisamment de marge de manœuvre quand même qu’il puisse avoir une vie normale d’adolescent. Il est très sociable et s’entend bien avec tout le monde. Il est intégré et pas ostracisé. C’est important. Il y a un an, nous avons commencé à le laisser prendre le bus seul. Notre numéro figure sur un papier dans la poche extérieure de son sac en cas de problème. Tout comme ses médicaments si le Samu devait intervenir.
Précisément, quelle est la bonne conduite à avoir en tant que témoin d’une crise ?
Souvent les personnes concernées font des grands mouvements de bras, de jambes, de tête, car tout le corps est tétanisé, ou en proie à de grandes secousses musculaires en fait. Les gens ont tendance à les prendre dans les bras alors qu’il ne faut pas maîtriser les mouvements au risque de blesser car l’épileptique va se débattre et peut se casser un bras par exemple. On peut mettre un sac ou des vêtements au sol pour éviter qu’il ne se fasse mal.
Avez-vous le sentiment que cette pathologie est assez reconnue ?
C’est la première année que l’Éducation nationale a fait une fiche spécifique pour les PAI (Projet d’accueil individualisé). Les choses avancent mais lentement.
Avez-vous d’autres conseils à partager ?
Je pense qu’il faut être à l’écoute de l’enfant. Mais aussi de soi. Ne pas s’oublier. Dans notre cas précis, nous n’avons qu’un fils, mais dans les fratries, il peut y avoir des rancœurs quand un autre enfant se sent négligé. Il faut aussi faire abstraction des commentaires. On m’a souvent dit : « tu le surprotèges ». Je fais en mon âme et conscience. Je peux être un peu directe parfois et les remettre à leur place car ils ne connaissent pas ma vie. Par ailleurs, nous tentons régulièrement de nouvelles choses. Tout récemment, on m’a orienté vers la sophrologie, alors on va essayer. Dernier conseil : il faut trouver un équilibre dans la famille, dans le couple, dans la vie avec l’enfant. Même si ce n’est pas toujours simple…
M-FR-00007983-1.0 – Établi en janvier 2023