Face à l’endométriose, Charlotte garde espoir

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Face à l’endométriose, Charlotte garde espoir

Diagnostiquée tardivement à l’âge de 37 ans, Charlotte subit aujourd’hui les conséquences tant sur le plan personnel que professionnel d’une endométriose qui a pris le temps de s’installer et de faire quelques ravages. Des changements radicaux qui, elle aime à le croire, lui ont permis d’être la femme battante qu’elle est aujourd’hui.

Comment avez-vous été diagnostiquée ?

La vie est incroyable, mais c’est grâce à la venue d’une vieille amie de la famille, qui ne passe en France que tous les dix ans. Elle réunit toutes les personnes qui ont fait partie de sa vie à Paris. Nous échangions tous sur nos vies, nos métiers et j’ai eu la chance de rencontrer un couple de gynécologues formidables. Je crois au destin, et j’avais entendu parler de l’endométriose à travers les propos d’une amie, qui m’avait dit qu’elle pensait que c’était ce dont je souffrais. J’ai osé leur en parler et après discussion, ils m’ont expliqué que ce serait une bonne chose pour moi de les consulter. C’est ainsi que j’ai pris rendez-vous avec le docteur Charles Tibi… Et il a changé ma vie, sachant que jusqu’alors, les professionnels de santé que j’avais rencontrés avaient été très peu à l’écoute.

Vous avez dit précédemment que vous aviez « osé » leur en parler. Le sujet vous paraissait-il délicat ?

Oui. Je suis heureuse de voir qu’on en parle de plus en plus, mais je suis d’une génération où c’était tabou. Le corps médical a fini par me faire penser que j’étais folle. Je n’ai essuyé que des refus, on a refusé de croire en ma douleur. J’ai eu droit à : « vous ne seriez pas un peu chochotte vous ? ». Ou encore, au service des urgences de je ne sais plus quel hôpital : « mais vous n’étiez pas déjà là le mois dernier ? Et vous aviez vos règles… Il faut arrêter de venir, vous êtes juste constipée… » Ma propre mère, qui fait partie du corps médical, ne comprenait pas ce qui m’arrivait. Elle essayait de me rassurer en me disant que toutes les femmes vivaient ça et que cela disparaîtrait quand j’aurai un enfant. Alors vous imaginez bien que je m’attendais à être une énième fois incomprise.

Comment avez-vous su que vous souffriez d’endométriose ? Et quels en étaient les symptômes ?

Je n’ai su que je souffrais d’endométriose qu’à l’âge de 37 ans, avec une prise de sang. Mais j’ai su dès l’âge de 12 ans, dès mes premières règles, que j’avais un problème. Je vomissais et avais tendance à perdre connaissance. Voici les premiers souvenirs que j’ai de cette maladie. J’étais dans l’incapacité totale de marcher, ma mère a dû venir me chercher à plusieurs reprises au collège. Et cela s’est répété tous les mois, pendant des dizaines d’années. Mais quand on demande de l’aide et que personne ne mesure l’ampleur de la douleur et ce que le corps subit, on finit par se taire. Et on attend que ça passe, même si on est immobilisé pendant plusieurs jours et qu’on ne commence à pouvoir se déplacer lentement qu’au bout de trois jours. J’ai fait des malaises dans des magasins, au collège, je ne parle pas du lycée ou de l’université où j’ai raté pas mal de cours d’amphi.

Vous êtes devenue une adolescente, puis une femme active. Votre endométriose a-t-elle eu des conséquences sur votre emploi ?

J’ai fait des études de droit puis je suis entrée en école de journalisme. J’ai eu la chance d’avoir des professeurs ou supérieurs qui ont su juger de ma bonne volonté et de ma détermination à réaliser mes objectifs. Mes professeurs comprenaient et voyaient surtout que je rattrapais chaque journée ratée. Professionnellement parlant, je fonctionnais surtout à la pige. En 17 ans de carrière, je n’ai travaillé que deux ou trois ans en CDD ou CDI derrière un bureau avec un emploi du temps fixe. J’ai toujours eu la liberté d’exercer depuis chez moi. Ce qui comptait, c’était que mes articles, chroniques et reportages soient rendus en temps et en heure. J’ai donc pu m’adapter. Mais, lorsque aujourd’hui je parle de ma maladie à l’un de mes mentors, en lui rappelant : « tu te souviens quand j’étais incapable de me lever pour venir au bureau ? », il est très triste pour moi, car il y a davantage de communication sur l’endométriose et les gens commencent à comprendre cette maladie et les douleurs qu’elle peut infliger chaque mois.

Faut-il donc, selon vous, en parler et informer ses employeurs ?

Je suis mitigée… Je suis ravie de ce qui se passe pour les nouvelles générations, avec des systèmes mis en place dans les collèges et les lycées pour accompagner au mieux les adolescentes diagnostiquées. Plus elles seront prises en charge jeune, plus elles auront la chance de vivre une scolarité sereine, de pouvoir fonder une famille, et surtout ne pas connaître ces années de souffrance. La sécurité sociale vient de reconnaître l’endométriose comme une maladie justifiant un arrêt, ce qui n’était pas le cas auparavant. La mairie de Saint-Ouen-sur-Seine, de son côté, a mis en place un congé menstruel pour ses fonctionnaires. C’est un acte précurseur qui donne le ton et ouvre le dialogue auprès des autres catégories professionnelles. C’est une révolution pour les femmes actives qui devaient auparavant prendre sur elles, ou tout simplement avoir des problèmes de justification d’absence. Mais en même temps, vous savez très bien que dans le monde du travail les femmes sont déjà considérées comme des maillons faibles. À poste égal, elles n’ont pas les mêmes salaires, et le fait de tomber enceinte est parfois perçu comme un handicap, presque une « trahison » pour l’employeur. Alors je ne suis pas sûr que de s’exposer en tant que femme souffrant d’endométriose soit judicieux. Et puis même si la loi protège désormais mieux les femmes, cela ne changera rien au ressenti et au comportement des collègues. J’espère avoir tort mais je suis assez défaitiste de ce côté-là.

Vous êtes pourtant une battante ?

Effectivement je suis une battante. Il est hors de question qu’avec les avancées de la médecine, la communication globale faite autour de cette maladie et la lutte acharnée des associations pour faire avancer la recherche, il y ait encore des jeunes filles qui souffrent et/ou soient ignorées comme je l’ai été. Mais, me concernant, je nourris beaucoup de regrets : si on m’avait écouté, si seulement j’avais été prise en charge assez tôt ! On pourrait refaire le monde avec des « si », sauf qu’aujourd’hui je fais face à une réalité avec laquelle je dois composer.

Vous avez eu vos premières règles à 12 ans et vous avez été diagnostiquée à 37 ans. Quelles sont les conséquences d’une telle errance diagnostique sur votre vie de tous les jours ?

Tout d’abord je tiens à dire que je suis reconnaissante, car depuis mon diagnostic, je suis suivie sur trois hôpitaux et ils m’expliquent bien les choses. Malheureusement les conséquences de 25 ans d’endométriose non traitée sont lourdes et irréversibles. On m’a dit que je n’aurai jamais d’enfants. Je suis atteinte sur huit centimètres de côlon, je dois donc prendre un traitement tous les jours pour aller aux toilettes. Les médecins avaient programmé une stomie, mais ils ont fini par l’annuler en me proposant une hystérectomie car mon cas était bien plus grave qu’ils ne l’imaginaient. Acte chirurgical que j’ai refusé. Je suis atteinte au niveau du carrefour iliaque droit, donc à long terme si je ne me fais pas opérer, je peux finir boiteuse ou en chaise roulante. Mais je garde espoir. En 2020, après ce qui m’a semblé une éternité, on m’a proposé un traitement expérimental, qui nous a permis de rêver et d’envisager le futur de manière positive. Aujourd’hui je peux prétendre à faire une FIV. En tant que femme seule et malade, j’ai dû attendre un an que la loi sur la bioéthique passe, mais je suis ravie de pouvoir dire que je suis sur liste d’attente pour un don de sperme. Je suis passée de : « vous n’aurez pas d’enfant… » à « … les conditions sont désormais réunies pour tenter une FIV ».
Vous imaginez ?

Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?

Bien sûr cela m’a coûté. J’ai eu beaucoup de mal à me faire au traitement. J’ai pris 25 kg, je suis passée par plusieurs dépressions… mais j’ai appris qu’il s’agissait de certains effets secondaires. C’était le risque à prendre. On ne m’autorise qu’une grossesse avant l’hystérectomie, mais c’est tout ce que je demandais. Avoir la chance de pouvoir essayer d’avoir un enfant. Alors vous voyez, je regarde vers l’avenir et c’est un regard plein d’espoir.

M-FR-00008782-1.0 – Établi en mai 2023