Hémophilie : la transmission parent-enfant n’est pas systématique

Maladies rares
Hémophilie : la transmission parent-enfant n’est pas systématique

Il est le médecin coordinateur du centre de traitement des maladies hémorragiques du CHU de Rennes. Voix des patients est allée à la rencontre du Dr Benoit Guillet, spécialiste de l’hémophilie et de sa prise en soins.

Comment a évolué la recherche sur l’hémophilie ?

Elle a beaucoup progressé et a largement contribué à l’enrichissement du savoir au sein de la communauté médicale. Les nouveautés concernent aussi bien les paramètres génétiques de la maladie que le fonctionnement des protéines incriminées. Par ailleurs, pour ce qui est des traitements contre l’hémophilie, nous amorçons littéralement un virage thérapeutique avec l’élaboration de nouveaux produits. Ces derniers ont notamment des durées d’action prolongées qui pourraient offrir plus de confort aux patients (moins d’injections et moins de saignements) et pourraient favoriser l’observance du traitement.

N’y a-t-il pas aussi des approches de thérapie génique?

En effet, plusieurs protocoles d’essais thérapeutiques sont en cours. Et les premiers résultats sont très encourageants surtout pour l’hémophilie B sévère. Cependant, aussi positifs soient-ils, ces premiers résultats doivent encore être confirmés et faire l’objet de nouvelles études. Cela prendra du temps mais nous sommes sur la bonne voie.

Les évolutions de la recherche vont-elles dans le sens des attentes et préoccupations des patients que vous suivez régulièrement ?

La première préoccupation des patients concerne, assez logiquement, le traitement. Et plus précisément, ses modalités.

En pratique, ils souhaitent faire moins d’injection intraveineuse et préfèreraient la voie orale. Bien entendu, derrière la question du traitement, se pose aussi pour eux celle de la guérison.

La thérapie curative, quelqu’en soit la méthode comme la thérapie génique, demeure une espérance pour toutes les personnes hémophiles comme pour leurs proches.

Vous évoquiez précédemment les hémophilies de type A et B. Qu’en est-il du type C ?

Parler d’hémophilie de type C est une erreur nosologique. C’est une ancienne appellation qui n’a plus lieu d’être. Par définition, l’hémophilie est une maladie génétique liée à une anomalie du chromosome sexuel X qui est responsable d’un déficit en l’une des deux protéines de la coagulation, facteurs VIII ou IX. Ce que l’on a pu appeler hémophilie de type C dans le passé, ne répond pas à cette définition puisque cette pathologie découle d’anomalies génétiques autosomiques, donc sur des chromosomes non sexuels, qui provoquent un déficit en facteur XI, une autre protéine de la coagulation. Les symptômes hémorragiques sont d’ailleurs différents de ceux observés en cas de déficit en facteur VIII ou IX. Il ne convient donc pas, dans ce cas précis, de parler d’hémophilie.

Il existe une idée reçue selon laquelle seuls les garçons seraient touchés par la maladie. Les filles sont-elles, comme on a tendance à le croire, obligatoirement épargnées ?

Pour répondre à cette question, il faut d’abord comprendre comment s’opère la transmission de la maladie à travers les générations.

Quand on parle d’hémophilie, on parle d’une anomalie génétique située sur un chromosome X. Notez bien que les garçons ont un chromosome X et un chromosome Y. Les filles ont, quant à elles, deux chromosomes X. Résultat, si l’unique chromosome X d’un garçon est touché, il sera hémophile. Par contre, une fille ayant un de ses deux chromosomes X «anormal», est «conductrice».

En effet, elle a 50 % de risque de transmettre son chromosome X «anormal» à ses enfants. Si elle le transmet à sa fille, celle-ci sera, elle aussi, conductrice. Si elle le transmet à son fils, celui-ci sera obligatoirement hémophile. Par contre, si la mère conductrice ne transmet pas son chromosome X «anormal» mais son chromosome X sain, alors la transmission héréditaire de la maladie cessera au sein de la famille. Une femme conductrice peut avoir aussi un déficit en facteur VIII ou IX qui peut provoquer des saignements anormaux.

Il est donc important que les femmes de la famille d’un hémophile aient un bilan hématologique précis avec d’une part une analyse génétique

(pour déterminer si elle est conductrice et donc son risque de transmettre l’hémophilie) et d’autre part un dosage de facteur VIII ou IX (pour déterminer son risque hémorragique).

La transmission héréditaire n’est donc pas systématique ?

Non. L’expression de la maladie est liée à la transmission effective d’un chromosome X «anormal». Par exemple, avec un père non hémophile, si une mère conductrice transmet son chromosome X sain à son enfant, celui-ci ne sera pas hémophile ou conductrice et il n’y aura plus d’hémophilie chez ses descendants. Il est donc important de faire l’analyse génétique chez toutes les femmes de la famille.

Pouvez-vous revenir sur le terme «conductrice» et nous préciser sa signification ?

A la différence des garçons considérés comme hémophiles, on dit des femmes qu’elles sont conductrices de la maladie quand elles sont porteuses sur l’un de leurs deux chromosomes X d’une anomalie génétique provoquant la maladie.

Etre conducteur, c’est donc être porteur de l’anomalie génétique avec un risque de la transmettre à la génération suivante.

C’est forcément le cas pour une personne de sexe masculin hémophile. Pour une femme, le fait d’être conductrice ne signifie pas pour autant ne pas avoir de signe de la maladie. Certaines femmes conductrices subissent des manifestations cliniques d’hémophilie avec, par exemple, des règles abondantes…

L’hérédité est-il le seul facteur qui conditionne l’expression de la maladie ?

Oui en grande partie. A partir du moment où l’hémophilie est considérée comme héréditaire, il existe deux cas de figure : vous êtes porteur d’une version «anormale» du gène incriminé et vous avez la maladie ; vous êtes porteur d’une version «normale» du gène incriminé et vous n’avez pas la maladie. Cependant, en ce qui concerne les formes mineures d’hémophilie, des paramètres connexes peuvent directement influencer les taux de facteur VIII.

Je pense au groupe sanguin. Certains groupes sont associés à des taux de facteur VIII plus bas. Je pense aussi au taux de facteur Willebrand. Si ce taux est bas, il peut aussi entraîner une diminution du taux de facteur VIII.

Par ailleurs, si la grande majorité des hémophiles sévères expriment la maladie par des saignements fréquents et parfois importants, quelques-uns saignent très peu. On les appelle les mild-bleeders. Pour l’heure, nous n’avons pas de réponses claires pour expliquer cette modération clinique qui reste très rare.

Justement, à propos des saignements, certains peuvent-ils être spontanés ?

Pour ces saignements qui, a priori, ne sont pas liés à une lésion, je préfère parler de saignements d’apparence spontanée, car cette notion est relative. Par exemple, un garçon de 5 ans se tord légèrement la cheville en fin d’après-midi. Il ne dit rien pour éviter les injections ou tout simplement parce qu’il n’a pas très mal. Il va se coucher et le lendemain, il se réveille avec une hémarthrose, c’est-à-dire un saignement à l’intérieur de l’articulation. On aura tendance à évoquer une hémorragie spontanée, en réalité c’est faux. Le saignement a toujours pour origine une lésion même si celle-ci n’est pas toujours retrouvée.

Quelles sont les spécificités de la prise en soins d’une personne hémophile ?

Avant tout, la prise en soins doit être personnalisée. Tout simplement parce que les personnes touchées sont de tous âges : cela va du nourrisson à la personne âgée. Les situations sont complètement différentes.

Face à cette maladie chronique, l’objectif médical est de rendre les personnes malades autonomes en santé. Nous faisons tout pour qu’elles aient la meilleure qualité de vie possible et ce, selon leurs propres critères.

Il ne s’agit pas d’imposer tout le temps notre vision thérapeutique. Certes, il faut avoir une attitude médicale parfaitement définie et rigoureuse pour la prise en charge de l’hémophilie mais il faut accepter que les hémophiles puissent vivre leur vie. La relation doit être la plus humaine possible, tout en respectant un cadre médical. Il y a donc un juste équilibre à trouver entre le mieux médical et le mieux pour le patient.

Quels sont vos propres outils pour trouver ce juste équilibre ?

Je m’appuie sur deux éléments clés : la confiance et la rigueur. Il faut qu’il y ait une confiance mutuelle entre le professionnel de santé et la famille pour que chacun puisse avancer dans l’intérêt de la personne malade. Il faut également une rigueur tant du côté du patient que des équipes médicales. Nous devons dans le cadre du soin savoir guider les patients en maximisant leur autonomie.