Les jeunes en proie à un mal être psychique

Les jeunes en proie à un mal être psychique

Face au peu de données sur la santé des jeunes, l’université de Bordeaux a souhaité collecter plus d’informations sur cette population. C’est ainsi qu’est née l’étude i-Share. A l’initiative de ce projet, le Pr Christophe Tzourio analyse les premiers résultats, qui sont pour le moins édifiants…

Il n’existe quasiment aucune étude populationnelle sur la santé des jeunes adultes. Pourtant, ils sont exposés à certaines maladies pouvant avoir des conséquences sur leurs activités quotidiennes ou leurs études. D’où l’intérêt de la cohorte i-Share (pour internet-based Students’ Health research enterprise) permettant d’évaluer l’état de santé et de bien-être de cette population.

Concrètement, tous les étudiants des universités françaises sont invités à participer à cette étude, laquelle se déroule majoritairement par Internet via un site spécifique qui garantit l’anonymat et la confidentialité. i-Share est la plus grande étude scientifique jamais réalisée sur la santé des jeunes. Plus de 17000 étudiants y participent déjà.

Cette vaste enquête n’est pas terminée, mais cela n’empêche pas le Pr Tzourio, neurologue, chercheur en épidémiologie et coordinateur du projet, de tirer de premiers enseignements.

Stress, anxiété et syndromes dépressifs

Ce qui l’a le plus interpellé, c’est la mauvaise santé psychique de ces jeunes.

Ce ne sont pas nécessairement des maladies mentales, mais des manifestations évidentes de stress, d’anxiété, avec parfois des symptômes dépressifs,

explique-t-il. Il regrette que des personnes plus âgées ne prennent pas toujours suffisamment au sérieux ces sujets car elles ne parviennent pas à réaliser que des jeunes puissent être stressés, précisément parce qu’ils ont la vie devant eux.

Pourtant le stress génère un état de sidération. Nombreux sont ceux qui s’adonnent au binge-drinking, pas tant pour passer une soirée entre amis mais parce qu’ils cherchent avant tout à lâcher prise,

précise-t-il. De même, s’ils ont recours à une consommation de cannabis, c’est pour leur permettre d’atteindre un état de relaxation et de bien être. Ils sont peu conscients du fait que cela peut avoir des conséquences très négatives sur leur santé.

Comment expliquer une telle pression chez ces jeunes ?

Peut être parce qu’on n’arrête pas de leur dire qu’ils doivent absolument réussir de brillantes études pour trouver un métier, et que même comme ça, ce n’est pas gagné du fait du taux de chômage important. Peut être en raison de la crise économique et des pertes de repères,

observe le Pr Tzourio.

Renoncement aux soins

Autre sujet inquiétant : le renoncement aux soins. Souvent précisément pour des motifs économiques, mais aussi par manque de temps.

Les jeunes ont du mal à se débrouiller avec la sécurité sociale, les complémentaires santé… Ils n’ont pas toujours les moyens d’avancer l’argent, qui leur sera remboursé six mois plus tard. Certains pourraient prétendre à la CMU, mais ne le savent même pas,

note le Pr Tzourio. Et de poursuivre :

ils se perçoivent souvent comme une sous catégorie de la population. Il n’est pas rare qu’ils se sentent seuls, même quand ils vivent dans une grande ville. Leur monde est souvent avant tout virtuel puisqu’ils passent beaucoup de temps sur les réseaux sociaux, autrement dit dans une réalité artificielle, alors même que nous restons des animaux sociaux et que nous avons besoin de voir les autres, de les sentir,

analyse-t-il. Le mal être psychique, qui est une vraie gêne au quotidien, peut également se traduire par des pensées suicidaires fréquentes. Les étudiants en médecine n’échappent pas à ce mal être. Cela peut paraître préoccupant de se dire que ceux qui sont censés soigner vont eux mêmes mal.

Ils sont soumis aux contraintes de l’hôpital dans le cadre de leurs stages, et sont ainsi confrontés à la maladie, à la mort… On ne le sait pas, mais les dépressions sont bien plus nombreuses qu’ailleurs parmi ces jeunes soignants. La communauté internationale commence à prendre ce problème à bras le corps.

Une nécessaire prévention

Face à ces constats inquiétants, que faire en termes de prévention ?

Il convient déjà de mieux identifier les jeunes qui vont vraiment mal. Et de manière générale, il faut les aider à s’auto-évaluer. C’est pourquoi je plaide en faveur du développement d’outils numériques pour favoriser ce « bilan psychique » leur permettant de savoir où ils en sont. Ces mêmes outils peuvent également permettre de les aider à gérer leur stress, comme par exemple l’apprentissage de la pleine conscience que nous testons dans i-Share ,

souligne le Pr Tzourio, qui, dans le cadre de son projet, s’est entouré de psychologues et de psychiatres. Cette enquête fascinante n’est pas terminée, mais en dit déjà beaucoup sur l’état de notre société.