Schizophrénie : La frontière entre eux et nous…

Famille & Aidants
Schizophrénie : La frontière entre eux et nous…

En décembre dernier, nous avions publié une première chronique de Laurent Marty, un anthropologue qui s’est posé la question suivante : comment la schizophrénie est-elle vécue aujourd’hui ? Il est allé poser la question aux différentes personnes impliquées dans la maladie, demandant à chacun de raconter une ou deux histoires de patients.

Les psychiatres, les psychologues, les infirmiers et les travailleurs sociaux ont raconté les histoires des patients qu’ils avaient accompagnés. Les parents ont raconté l’histoire de leur enfant. Les patients ont raconté leur propre histoire. Cela a donné naissance à un livre : Histoires de patients atteints de schizophrénie. Autour de quatre récits de patients, il présente dans La voix des patients cette chronique des schizophrénies aujourd’hui.

De tous les troubles mentaux, la schizophrénie est certainement celui qui est le plus porteur d’images négatives. Cette pesanteur de la stigmatisation accroît fortement l’inquiétude des patients et des familles. Faudrait-il changer de terme, utiliser un autre mot ? La question circule de par le monde, et je l’ai entendue à plusieurs reprises dans les entretiens.

Un des patients a fait cette remarque, qui m’a interpellée, comme on dit: « Pourquoi changer le mot, alors qu’on commence à en parler intelligemment ? ».

Je comprends ce qu’il veut dire, mais il m’a fallu faire un bout de chemin pour y parvenir. J’avais commencé les entretiens et la documentation avec cette question: « qu’est-ce que vivre avec la schizophrénie aujourd’hui ? »

Plus j’avançais, plus j’entendais de témoignages, et plus les choses me semblaient chaotiques et incompréhensibles ! En écoutant les uns et les autres dérouler les histoires de patients et raconter comment ils « font avec » la maladie, j’ai été touché par l’intelligence et l’humanité de ces récits. Puis j’ai fait connaissance avec les pratiques et analyses élaborées au fil du temps. De récits troublants en débats passionnants, la confusion initiale a pris la forme d’une certaine cohérence: les formes les plus extrêmes du « désordre » psychique ont produit un système de réponses que l’on peut qualifier aujourd’hui de « sophistiqué ». A la complexité de la schizophrénie, les soignants et accompagnants répondent par une offre diversifiée et très élaborée. Et c’est pour cette raison que « la frontière entre eux et nous a bougé », et que la stigmatisation se pose aujourd’hui de façon nouvelle.

Dans « Histoires de patients… », je raconte l’histoire fracassée de Balthazar. Mais au cours de l’entretien, je découvre que finalement il s’est plutôt bien accommodé avec la maladie. Au fil des ans, accompagné par différents soignants, il a élaboré des petits aménagements qui sont aujourd’hui devenus un vrai mode de vie. Il me raconte cette aventure incroyable plutôt tranquillement, il signale juste pour chaque étape la somme énorme d’efforts que ça lui a couté. Que de talent et d’énergie ont été nécessaires pour parvenir à cet équilibre ! Ses mains en disent la force et la fragilité quand elles tremblent à certains moments… Mélange troublant de vulnérabilité extrême et d’espoir intense.

Dans les représentations que l’on se fait habituellement de la schizophrénie, il y a un mur entre « eux » et « nous »: nous ici, et eux, ailleurs. De l’autre côté, dans un autre monde. Ce n’est pas de cette manière que j’ai perçu Balthazar. Il a pour particularité d’être dans la fragilité extrême avec la détresse qui s’ensuit, et en même temps dans l’espoir très fort d’en sortir. Cette particularité n’en fait pas un étranger, ni même un être étrange: qui n’a pas vécu à un moment de son existence le sentiment que tout était perdu, mêlé à un espoir sans limite?

Vous pouvez dès à présent télécharger le livre de Laurent Marty « Histoires de patients atteints de schizophrénie » (Convergence Edition) le site EdiPsy

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