Sclérose en plaques : les photos de Dorothy Shoes témoignent de sa colère

Sclérose en plaques : les photos de Dorothy Shoes témoignent de sa colère

Dorothy Shoes expose ses photographies à la Pitié Salpêtrière à partir du jeudi 14 janvier. Atteinte de sclérose en plaques, cette artiste talentueuse a su exprimer, dans sa série “ColèresS planquées”, toute la douleur et l’énergie dont elle fait preuve.

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Dorothy Shoes

Vous êtes concernée par la sclérose en plaques. Quand avez-vous découvert que vous étiez atteinte de cette maladie? Quelle a été votre réaction?

J’ai appris que j’étais atteinte de sclérose en plaques la veille de mes 33 ans, en 2012. Bien sûr cela a été un vrai coup de massue. J’étais assommée par la nouvelle, terriblement inquiète. Puis j’ai pris un peu de recul et je me suis dis : « ma réalité a un peu changé, comment transformer ce diagnostic douloureux? » L’évidence a donc été d’en faire quelque chose : je ne me considère pas d’abord comme une personne malade, mais comme une femme actrice de ma vie. Autrement dit, je ne suis pas d’abord patiente et ensuite artiste. Mais l’inverse.

Votre expo photo s’intitule « ColèresS Planquées ». C’est l’anagramme de Sclérose en Plaques. On sent en effet beaucoup de colère et beaucoup de violence dans ces clichés. Etait-ce votre intention?

Bien sûr il y a de la colère. Mais ce n’est pas tant la colère d’être touchée par la maladie qui m’importe que toutes les colères planquées qui peuvent être à la source de la maladie. C’est en tout cas ma piste de lecture, je conçois qu’elle est totalement subjective, mais c’est ce que je ressens. Lorsque la maladie s’est déclarée, je sortais d’un épisode particulièrement traumatisant. Je pense qu’il y avait un lien entre les deux et que mes blessures se sont accumulées.

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Quelles sont vos photos préférées? Auriez-vous envie d’en commenter quelques unes ?

Chacune de ces photographies compte pour moi. Ce sont des illustrations de ce que l’on traverse avec cette maladie : perte d’identité, problèmes cognitifs, fourmillements, rapport à la sexualité… Loin des photos de reportage, ces images décalées parlent de mes ressentis. La photographie qui met en scène au premier plan les pics d’une brosse à cheveux parle de ma difficulté à entretenir un rapport quotidien et normalisé à la maladie. Ils illustrent les injections. Qu’une injection devienne un geste aussi banal et quotidien que de se passer une brosse dans les cheveux… voilà ce qui me fait mal. Et c’est pourquoi j’ai refusé ce traitement. J’ai aussi voulu montrer le nécessaire nouveau rapport à la féminité, particulièrement mis en lumière par cette femme sensuelle, à la jupe rouge très « Moulin-Rouge », relevée sur des jambes meurtries de bleus et d’ ecchymoses.

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Les femmes que vous avez photographiées sont elles toutes concernées par la maladie?

Non. Les femmes que j’ai photographiées font toutes partie de mon entourage. Ce sont mes amies, mes proches, mes collègues de travail, d’heureuses rencontres… J’avais envie d’être entourée par toutes ces femmes qui me touchent et que j’apprécie. Elles m’ont apportée leur énergie et leur confiance. J’ai porté le projet avec elles toutes, et cela a été merveilleux à vivre.

Quelle est la genèse de cette exposition?

L’histoire est amusante. Il y a un an, je cherchais un orthophoniste pour réaliser un document sonore qui puisse accompagner mes photographies. Je voulais enregistrer et monter une bande son qui souligne les difficultés d’énonciation que peut avoir un malade atteint de sclérose en plaques. Je me suis alors adressée à l’ARSEP (fondation pour l’aide à la recherche sur la sclérose en plaque), en leur envoyant quelques photographies pour illustrer mon projet. Deux mois après ma demande, Chrystel Mallière, chargée de projet dans cette association, m’a contactée, non pas au sujet de l’orthophoniste, mais des photos! C’est ainsi que le projet de présenter à la Pitié Salpêtrière l’exposition « ColèresS Planquées », qui avait déjà fait l’objet d’une exposition à l’occasion de la Triennale d’Art Contemporain de Vendôme en mai 2015, a commencé à prendre forme.