Après avoir vécu une expérience d’aidant, d’abord auprès de sa mère, puis de son père, Joël Jaouen s’est impliqué dans l’association France Alzheimer, dont il est devenu président. Rédacteur en chef de cette édition spéciale consacrée aux aidants, il raconte les difficultés qu’il a traversées et son envie d’aider celles et ceux qui sont à leur tour concernés par l’accompagnement d’un proche malade.
Etre aidant n’est pas une chose naturelle, on ne naît pas aidant. Un beau jour, ma mère n’a pas souhaité se lever de table. Puis on a réalisé qu’elle avait fait un AVC. Les répercussions étaient d’ordre physique, pas intellectuel. Elle est devenue hémiplégique. « Ce n’est pas son handicap qui va changer notre vie », disait mon père, si bien qu’on allait quand même se promener.
J’ai souhaité mettre en place un système d’aide à domicile, en 1998. J’ai donc imposé à mon père une auxiliaire de vie. Il l’a mal supporté.
Je n’ai pas pris conscience de la fatigue qu’il avait accumulé. Un jour, à son tour, il n’a pas voulu se lever. La maladie n’arrive pas avec des gros sabots, même si ce fut le déclic. « Tu peux me passer le truc qui sert à écrire », disait-il quand il ne se souvenait plus du nom de l’objet. Il était dans un total déni, et moi sans doute un peu aussi. Tout cela m’est tombé dessus brutalement, d’autant qu’on a toujours tendance à considérer que les mauvaises nouvelles sont pour les autres. J’ai mis ma mère en hébergement temporaire.
Mon frère habitait très loin à l’époque. Il ne me prenait pas au sérieux quand je lui racontais ce qui se passait, d’autant que mon père parvenait à « donner le change ». Ma femme, quant à elle, accompagnait un proche atteint de cancer, si bien que nous étions l’un et l’autre happés par notre activité d’aidants. Quant aux amis et au voisinage, ils étaient dépassés et angoissés.
Il y a 30 ans, on parlait de « démence ». Le mot Alzheimer fait peur car tout le monde sait qu’on n’en guérit pas.
Quand vous êtes diagnostiqué, c’est râpé !
Oui, d’autant qu’une pseudo professionnelle de santé m’a informé qu’il restait à ma mère 24 à 48 heures à vivre. Elle a été placée dans un service de réanimation.
Il est resté très digne. Pendant la cérémonie, il avait rassemblé ses neurones. Pour expliquer la maladie, j’aime bien donner l’image d’un sapin de Noël, dont les lumières s’éteignent progressivement. Mon père avait des moments de lucidité. Quand il a vu la une d’un journal montrant Le Pen au second tour en 2002, il m’a dit en pointant du doigt la photo « pas celui-là ».
Oui, j’avoue, même si j’en ai honte, que je me suis demandé un jour : « et si tout ça était bidon ? »
Je me suis donc caché pour l’observer. J’ai pu constaté qu’il avait tendance à se mettre en position foetale. J’ai passé beaucoup de temps avec lui. Nous avions un but de visite : le cimetière, pour aller voir ma mère.
Il marchait devant moi et trouvait systématiquement la tombe. Le chemin était inscrit dans le disque dur, jusqu’au jour où ça n’a plus été le cas. Tout est alors allé très vite. Je vous assure que ce n’est pas facile à vivre quand votre père vous appelle
« papa ». Il a été hospitalisé, puis il est décédé en 2003.
Oui. J’avais entendu parler de l’association. Je me suis engagé pour aider les aidants à mieux vivre la maladie de leurs proches.
Je suis rentré au conseil d’administration de l’association. C’était sans doute une façon de faire mon deuil. J’ai inculqué l’idée qu’il fallait communiquer davantage et ne pas être assisté.
Je me suis engagé dans le Finistère, où nous avons créé les « cafés mémoire », pour permettre aux patients de ne pas être coupés du monde. Je suis devenu progressivement vice président. Puis j’ai candidaté pour devenir administrateur national. Nous avons aussi souhaité mettre en place des formations pour les aidants dans la continuité du plan Alzheimer.
Plus de 6000 aidants ont à ce jour été formés. C’est pour moi une grande fierté ! »
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