Anne Lesur a exercé pendant 30 ans dans un Centre de Lutte contre le Cancer, à Nancy. Oncosénologue et gynécologue, elle a repris une activité de consultation de gynécologie sénologie au Centre médical de la MGEN, depuis une petite année, pour retrouver ses patientes dont les gynécologues sont parties en retraite.
Quelle est la prévalence du cancer du sein ?
C’est le premier cancer en incidence au monde avec 60 000 nouveaux cas de cancer du sein par an en France (versus 22 000 nouveaux cas par an dans les années 80).
Par comparaison, le cancer du col de l’utérus concerne 2 000 nouveaux cas actuellement en France par an. L’incidence maximum se situe entre 50 et 70 ans, avec un pic à 63 ans. »
Comment se fait-il que l’âge moyen soit de plus en plus jeune au diagnostic ?
L’âge moyen n’est pas de plus en plus jeune au diagnostic quand on compare les statistiques de l’INCa et les documents d’épidémiologie. Ce cancer augmente de façon drastique depuis 20 ans. On a longtemps cru qu’il touchait uniquement les femmes dans les régions hyper industrialisées, mais tous les pays sont atteints. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il n’y a pas de plus en plus de cancers de la femme jeune, mais de plus en plus de cancers du sein toute tranches d’âge confondues. »
Comment l’expliquez-vous ?
On a longtemps dit que le fait de dépister une localisation cancéreuse augmentait artificiellement le nombre. Autrement dit, si on trouve si on cherche ! Sauf que c’est le seul cancer à présenter une augmentation aussi régulière et drastique. Je pense qu’on sous-estime le rôle des perturbateurs endocriniens et on n’accorde pas assez d’importance aux deux changements majeurs intervenus depuis 50 ans dans la vie : la sédentarité et le surpoids dès très jeune. Il y a peut-être aussi des facteurs liés aux changements de vie des femmes. A l’époque, elles avaient leurs premières règles à 16 ans, se mariaient à 17 et étaient enceintes à 18. Or on sait qu’après la première grossesse à terme, le sein devient plus résistant aux agents oncogènes. Aujourd’hui, les jeunes filles ont leurs règles beaucoup plus jeunes, et sont enceintes de plus en plus tard.
Quelles sont les principaux facteurs de risques ?
Comme évoqué, mis à part le sexe, l’âge est le facteur de risque majeur, sachant que près de 80 % des cancers du sein se développent après 50 ans. Les tumeurs en lien avec des facteurs génétiques, dont on parle médiatiquement beaucoup, ne représentent que 7 à 9 % des cas, on peut citer évidemment les facteurs gynéco-obstétricaux (nombre d’enfants, âge de la première grossesse, allaitement…) et bien sûr les facteurs relatifs à l’hygiène de vie (alcool, alimentation, graisses animales, sédentarité, obésité). Si certaines femmes sont plus à risque que d’autres, toutes sont potentiellement à risque, même celles qui sont minces et sportives, même quand aucun cancer du sein n’est connu dans la famille, même si elles n’ont jamais fumé et fait d’excès et même si elles n’ont jamais été malades et se sentent parfaitement en forme. »
C’est pour cela que toute anomalie doit être explorée car les traitements sont efficaces. En effet, dépisté, pris à temps et bien soigné, ce cancer guérit à 90 %. En plus des mammographies, j’invite les femmes à être attentives à leur corps sans devenir hypochondriaques ! Savoir veiller sur ses seins est une discipline facile à intégrer, dans ce contexte.
Les cancers dits « hormono-dépendants RH+ » représentent 80 % des cancers du sein. Quelle est leur spécificité ?
Certains cancers sont dits sensibles aux hormones, c’est le cas de 80 % des cancers du sein. Les 20 % n’ayant pas de récepteurs aux hormones sont plus fréquents chez les femmes plus jeunes. Cela prouve que, même après la ménopause, la femme continue à être sous influence d’hormones qui sont secrétées par les surrénales et les cellules de graisse. D’où la nécessité de pouvoir prescrire des traitements inhibant ces sécrétions.
Qu’est-ce que la ménopause induite par les traitements ? Et quels sont ses symptômes ?
On a tendance à dire – de façon simpliste – que les traitements du cancer du sein provoquent une ménopause. C’est faux. En revanche, une chimiothérapie est également agressive sur les ovaires et peut contrarier leurs fonctionnements, en créant une sorte de ménopause (arrêt des sécrétions ovariennes) qui sera ou non durable. Elle est parfois transitoire chez la femme jeune, laissant les règles revenir quelques mois plus tard. En revanche, après 40 ans, cette reprise des cycles est plus aléatoire, et il n’est pas rare que l’arrêt de fonctionnement des ovaires persiste dans le temps. Cela revient à dire que les femmes, même après que les chimiothérapies soient terminées, ressentent tous les signes d’une ménopause, les ovaires ne fonctionnant plus.
On comprend que les traitements du cancer induisent non pas une réelle ménopause, mais un déficit d’hormones, lequel induit des symptômes propres à la ménopause. Comment peut-on améliorer la qualité de vie des patients, avec des solutions non hormonales ?
Les traitements du cancer sont ponctuels et comme nous l’avons vu, les ovaires peuvent se remettre en route quelques mois plus tard, mais rien ne permet d’en être sûr. Dans ce cas, les signes désagréables de la ménopause pourront être présents, et peuvent générer une qualité de vie altérée, variable selon les unes et les autres. Il existe des moyens non hormonaux qui peuvent aider à les supporter, il faut surtout en parler.
Selon vous, les femmes sont-elles assez informées ?
Pas du tout. Je suis sidérée de voir combien les informations sur ces fonctionnements, leur explication et les éventuels moyens d’y faire face sont de plus en plus rarement délivrés par les médecins oncologues. C’est particulièrement clair quand on lit les synthèses médicales des patientes en cours de chimiothérapie, qui n’évoquent même plus la situation hormonale de la femme, et encore moins la date des dernières règles, (qui ne font pas partie des items retenus par les logiciels génériques). Pour ma part, j’ai toujours mis un point d’honneur à expliquer dès le début des traitements leur mode d’action, et en général, les femmes comprennent parfaitement. Comment prôner les notions de décision médicale partagée, si on n’explique pas les tenants et aboutissements ? Souvent, les femmes vous rapportent qu’elles ne se sentent pas prises en compte dans le monologue de l’interne et se demandent pourquoi on ne leur parle pas normalement. Ou pourquoi on esquive leurs questions.
Je suis vraiment désolée de voir comment les prises en charge dérapent par manque de coordination de parcours personnalisés bien gérés et suivis, dans une société où personne n’est responsable de rien. » Trop souvent, les comptes rendus ne sont pas relus, les synthèses non actualisées, bref l’humain est oublié dans son vécu quotidien, dans une indifférence générale. Certaines femmes vont chercher des informations sur le web. Mais d’une part, on y trouve tout et n’importe quoi, d’autre part, toutes n’ont pas la même agilité sur les réseaux sociaux.
Sensibiliser les femmes, c’est votre leitmotiv. Vous êtes à l’origine des ateliers d’autopalpation, développés à l’occasion de l’événement Octobre Rose…
Oui. Les femmes doivent compter avant tout sur elles-mêmes en apprenant les bons gestes pour s’autopalper. En parallèle, à mes yeux, il est impératif que le corps médical admette qu’il est indispensable de parler avec les femmes, de leur consacrer le temps nécessaire à la bonne compréhension des traitements, en répondant notamment à leurs questionnements.
M-FR-00010052-1.0 – Établi en novembre 2023