Perdre un parent, un frère, une sœur, un oncle, une tante… est toujours une épreuve. L’annoncer à un enfant en est une autre. Pas facile de trouver les mots. Quand le dire ? Comment le dire ? Est-il nécessaire de se faire aider ?
Loris n’avait que quinze jours quand il a perdu son papa. Et Stéphanie que 42 ans quand elle s’est retrouvée veuve, après que Christophe ait été emporté par un terrible cancer du rein. Comment parler du deuil à son enfant ? « Encore aujourd’hui, cinq ans plus tard, je me pose la question de savoir comment m’y prendre, car je ne suis pas sûre qu’il y ait une seule bonne façon de faire », explique-t-elle.
À chacun de trouver le « bon moment »
Après le départ de Christophe, elle a échangé avec une psychologue, qui lui a fait savoir qu’il n’y avait pas de réponses dans l’absolu, et qu’elle saurait trouver « le bon moment ». Le moment en question est arrivé quand Loris est allé à la crèche. « Il avait alors deux ans et voyait régulièrement les pères de ses amis venir chercher leurs enfants. Alors nous en avons parlé. Avec des mots adaptés. Depuis, il évoque souvent son papa », raconte Stéphanie. Chez les grands-parents de Loris, il y a partout des photos de Christophe, que Loris regarde avec amour. « Regarde, c’est mon papa. Il m’aime très fort et il m’aimera toujours », a-t-il récemment expliqué à l’une de ses amies de son âge, en lui montrant l’un de ces portraits.
En parler : une preuve de confiance
« C’est important que l’enfant se construise avec une image positive du proche. C’est cela qui va l’aider à grandir avec une belle image de lui », précise Bernard Zanzouri, expert en éducation informelle. Selon lui, il est fondamental de parler à l’enfant de ce qui s’est passé, évidemment en adaptant en fonction de l’âge, de la sensibilité…. « La mort est anxiogène pour tout le monde, mais il faut en parler, pour que l’enfant ne se sente pas mis à l’écart. Il a bien vu qu’une personne proche manquait, que sa maman était triste et fragile aussi. On ne protège pas son enfant en lui cachant une vérité. Mieux vaut éviter les non dits », souligne-t-il. Parler à un enfant revient à lui montrer qu’on lui fait confiance, qu’on le voit comme assez grand pour être informé, « et qu’il peut vous faire confiance aussi, qu’il ne se trame pas des choses affolantes derrière son dos ».
À partir de 5 ans, l’enfant s’interroge sur la mort
La mort est rarement un sujet facile à aborder avec un enfant. Pourtant, il est important d’en parler, car elle fait partie de la vie. Comme l’expliquait sur notre site le célèbre pédopsychiatre Marcel Rufo, « entre 5 et 7 ans, les enfants découvrent l’idée de la mort ». L’enfant pose des questions à partir de ce qu’il voit et de ce qu’il vit. Il est d’ailleurs préférable de parler de la mort, au sens large, avant qu’un décès ne survienne dans son entourage, car c’est une façon de préparer l’enfant à cette idée. Une façon simple d’aborder le sujet est de partir du cycle de la vie dans la nature, en observant par exemple les bourgeons, les fleurs qui se fanent, les feuilles qui tombent… Expliquez-lui que c’est la même chose pour les humains. « On peut aussi dire que quand on tombe malade, on peut guérir, mais que dans certains cas, on souffre tellement qu’on ne peut pas rester en vie. Ou encore que parfois, le corps est usé et ne peut plus fonctionner. Parfois, on meurt avant d’être vieux parce qu’on a une maladie qui ne se guérit pas ou parce qu’on a un grave accident », analyse Bernard Zanzouri. C’est important dans ces moments là que l’enfant puisse s’exprimer, laisser jaillir ses émotions et poser des questions, même si on ne peut pas toujours y répondre. Car certaines choses sont difficiles à comprendre, même pour les adultes.
Ne pas projeter ses propres angoisses
En tant qu’adulte, on aimerait protéger son enfant et lui épargner la souffrance liée à la disparition d’un être cher. « Il ne faut surtout pas projeter sur lui nos propres angoisses. En parler sera probablement douloureux, mais c’est incontournable pour que l’enfant puisse manifester ses interrogations », précise Bernard Zanzouri. Autrement dit, si le fait de parler de la mort peut générer une angoisse, le fait de se taire est encore bien pire car l’enfant risque de penser que c’est à cause de lui que son parent est triste. Il est normal d’éprouver de la peur à l’idée d’évoquer ce sujet, même si la finitude fait partie de la vie. Reste que des questions se posent : pourquoi, quand et comment parler de la mort avec l’enfant ? Dans quelles circonstances ? Qui parle ? Qui informe ? Les proches ? Les professionnels ? A ces questions, il n’y a pas de réponses dans l’absolu. L’âge de l’enfant entre en considération, car on n’annonce pas les choses de la même façon selon qu’il a 4 ans ou 16 ans. Son histoire personnelle et familiale doit aussi être prise en considération. Tout comme les considérations religieuses ou spirituelles.
La conception de la mort varie en fonction de l’âge
Annette Levillain-Danjou est l’auteur de L’enfant et la mort, un tabou pour l’adulte. Elle différencie deux approches : celle où il s’agit de parler de la mort à l’enfant et celle où il s’agit de parler de la mort avec l’enfant. Selon elle, si les enfants n’ont pas la même représentation que les adultes, très tôt ils ressentent la gravité de tous les bouleversements qu’entraîne la mort dans leur vie. « Chez le tout jeune enfant, la connotation de la mort est l’absence mais temporaire. Le « plus jamais » n’est pas acquis, l’enfant ne connaît que « le plus là », explique-t-elle. L’enfant est toutefois sensible aux variations émotionnelles de son entourage. Jusqu’à 5-6 ans, la mort est réversible et temporaire. « Elle est assimilée à un sommeil. C’est la période de la toute-puissance et de la pensée magique, du désir de retour qui peut devenir réalité pour l’enfant », souligne cet auteur, par ailleurs co-fondatrice et co-animatrice du collectif Deuils et Paroles. Après 6 ans, la mort est considérée comme l’envers de la vie. L’enfant va se représenter concrètement la mort (le cadavre, la tombe, le cimetière, le squelette…). Entre 8 et 11 ans, l’enfant prend conscience du caractère d’irréversibilité, d’inexorabilité et d’irrévocabilité de la mort. Chez l’adolescent, la conception de la mort est proche de celle de l’adulte. Quel que soit l’âge, ce que l’enfant attend de la part de l’adulte, c’est de l’authenticité.
Qui doit faire l’annonce ? Et comment ?
« L’annonce est le moment le plus difficile. Il est préférable que ce soit un parent ou les deux selon les circonstances qui fassent l’annonce à condition toutefois qu’ils soient « solides », qu’ils ne soient pas submergés par le chagrin. S’ils sont trop effondrés, ils peuvent demander à une tierce personne de le faire à leur place, ils interviendront un peu plus tard », explique Annette Levillain-Danjou. Et d’ajouter : la question de « comment annoncer la mort ? » est étroitement lié au niveau de maturation de l’enfant, à la culture religieuse et spirituelle de la famille de l’enfant, à la relation préexistante avec le disparu. « Le deuil de l’enfant sera facilité s’il se sent pris au sérieux et non exclu, particulièrement lorsqu’un parent est atteint d’une maladie létale : l’enfant n’est ni aveugle ni sourd, il sent bien la gravité autour de lui et les changements qui s’opèrent tant chez le malade que dans l’entourage familial », observe-t-elle. Annette Levillain-Danjou précise qu’il n’y a pas une seule bonne façon de faire. Déjà parce que chaque cas est singulier du fait de l’identité du défunt, de son âge, des circonstances de sa disparition, des liens de parenté, des liens d’attachement préexistants, de son histoire individuelle et familiale… Mais aussi parce que chaque enfant est différent. En revanche, il est préférable de faire cette annonce dans le calme. « Quand les parents sont confrontés à une vérité difficile à dire, il faut éviter la dramatisation et se contenter de répondre aux questions. En prenant l’enfant dans les bras ou sur ses genoux, en demandant à la fratrie, s’il y en a une, de se tenir la main. Il faut reprendre les événements, les circonstances entourant la mort, sans détail excessif avec des mots simples et justes », suggère-t-elle.
Évaluer ce que comprend l’enfant et ce dont il a besoin
Reste que l’approche qui semble la plus pertinente est celle de l’adaptation à ce que l’enfant est en mesure de comprendre, et ce qu’il a besoin de savoir. Christel en sait quelque chose. Elle a été confrontée deux fois à cette question pour en parler à son fils Arnaud. « La première fois, il avait quatre ans quand mon grand-père est décédé. C’était pour Arnaud comme un père de substitution. J’étais très désemparée pour lui annoncer, mais j’ai finalement choisi des mots simples. Je lui ai expliqué que papi était parti au ciel et qu’on ne le verrait plus. Qu’il allait beaucoup nous manquer. Que j’étais très triste », explique-t-elle. Et Arnaud a très bien compris. Au fil des années, il s’est beaucoup rapproché de son papa, avec lequel les liens avaient longtemps été distendus. Mais ce dernier est tombé malade. Atteint d’un cancer du pancréas, il était souvent hospitalisé. « Arnaud était en pleine adolescence. Son père ne souhaitait pas que je lui dise qu’il ne lui restait que quelques mois à vivre, car il craignait que cela ne le perturbe pour son brevet. Mais Arnaud a perçu mon désarroi et a insisté pour que je lui dise ce que je savais. J’ai craqué et j’en ai parlé avec lui. Il m’a promis d’avoir son examen, pour son père. Et l’a obtenu avec mention », témoigne-t-elle. Pour elle, tout est fonction de ce qu’on perçoit de la maturité de son enfant. « Arnaud, quand il a été informé de l’issue, m’a dit que j’avais bien fait de lui en parler pour qu’il puisse se préparer », ajoute-t-elle. D’autres auraient peut être réagi différemment, d’où l’intérêt de tenter d’évaluer ce dont l’enfant a besoin, ce qu’il souhaite savoir ou ne pas savoir. De la même façon, elle a laissé le choix à Arnaud de veiller ou pas son père à ses côtés. Il a préféré sortir. « Quand il est revenu après que son père ait rendu son dernier souffle, il lui a caressé les mains tendrement », ajoute-t-elle. Christel a su adapter les mots en fonction de l’âge. Elle a lu beaucoup de livres, dont « La mort expliquée aux enfants », du Dr Charbonnier. « Les mots ont en toute logique été plus précis quand Arnaud avait 14 ans que quand il en avait 4, mais il a toujours été reconnaissant pour ma transparence », conclut-elle.
M-FR-00006272-1.0 – Établi en février 2022