Cancer : les vertus de l’optimisme dans le processus de guérison

Cancer : les vertus de l’optimisme dans le processus de guérison

Célèbre psychologue et psychothérapeute, Anne Ancelin Schützenberger est surtout connue du grand public pour ses apports dans le champ de la psycho généalogie, avec son ouvrage Aïe, mes aïeux. Dans le cadre de Bulle Santé, elle analyse les vertus de l’optimisme dans le processus de guérison.

 

Quel rôle accordez-vous au mental dans le processus de guérison du cancer ?

Nous avons un fonctionnement psychosomatique très particulier. Les pessimistes qui ont devant eux une demi-bouteille la considèrent comme à moitié vide et se désespèrent de n’avoir pas de quoi boire suffisamment pendant le repas. Les optimistes la voient a demi-pleine et se réjouissent d’avance du plaisir qu’ils vont prendre. Il n’est pas toujours facile de voir le côté agréable des choses, quelles que soient les circonstances. Je pense qu’il est fondamental d’apprendre aux gens que le moral et l’envie de vivre jouent un rôle clé et qu’il faut tout faire pour être en vie jusqu’à l’instant de sa mort. II me paraît fondamental de redonner aux gens, et surtout aux malades d’un cancer, le goût de vivre.

Pensez-vous qu’un pessimisme excessif peut faire obstacle à la guérison ?

L’une des difficultés, c’est que les gens sont désespérés d’avoir un cancer. Ils ont peur, cessent de manger et se voient déjà morts. Ils anticipent des souffrances épouvantables, et ne réalisent pas que leur pessimisme risque d’aggraver les choses. S’ils étaient optimistes, quelque chose pourrait changer dans la chimie du corps. Quand on se plaint, l’inconscient et le corps entendent, et on diminue ses résistances immunologiques. Et inversement ! Personnellement, je pense qu’il est pertinent que les gens qui sont malades et qui souffrent fassent une psychothérapie complémentaire pour aller mieux. Une séance doit durer 50 minutes, ou en tout cas pas moins de 40 minutes, pour un bon accompagnement.

Vous dites souvent que quand on est malade, il faut penser à soi et à se faire plaisir. Finalement pour aller bien, faut-il être égoïste ?

Il faut apprendre à être un peu égoïste car si on ne se ressource pas, on ne peut rien pour soi, ni pour les autres. Pour prendre du plaisir à la vie, je propose aux patients d’établir une liste de plaisirs, qui contienne au moins 30 ou 40 items, de façon à pouvoir en réaliser 4 par jour au minimum. Certains sont « gratuits », d’autres plus coûteux (comme faire le tour du monde, ou s’acheter une maison). Quand on pense à quelque chose qui risque de vous arriver, ça réjouit le cœur, et on met en marche une machine de bien-être en soi. Le fait de prendre du plaisir contribue à l’envie de vivre, ce qui change le métabolisme du corps.

Concrètement, comment arrive-t-on à trouver du plaisir quand on est au fond du trou ? Comment faites-vous avec vos patients ?

Je me rappelle le cas d’une femme qui se plaignait toujours du fait qu’elle avait une petite poitrine. Elle a eu un cancer du sein et il a fallu lui enlever. Je l’ai préparée en lui disant qu’elle avait la chance de pouvoir choisir le genre de seins qu’elle aimerait avoir. Nous avons fait défiler les bustes de multiples articles (Gina Lollobrigida…), si bien qu’elle a envisagé son ablation du sein comme une reconstruction du sein idéal qu’elle aimerait avoir. Elle est partie comme on part pour une opération esthétique. Nous avions été ensemble choisir des soutiens-gorge à balconnets qu’elle pourrait mettre après la reconstruction. Cette perspective positive l’a aidé, si bien qu’elle n’a pas eu mal et a cicatrisé très rapidement. C’est dans la tête que ça se passe.

Dans l’un de vos ouvrages, vous expliquez qu’il est important de s’exercer à une visualisation positive des soins. Qu’entendez-vous par là ?

Il est important de visualiser que les soins qu’on vous donne vont vous faire du bien. Il faut imaginer un « nettoyage » par le corps de toutes les cellules cancéreuses et leur évacuation. Il peut s’avérer utile de faire dessiner aux patients la façon dont ils voient la chimie sur leurs cellules cancéreuses, et l’évacuation de ces cellules détruites. Monsieur Coué, pharmacien à Nancy, faisait répéter tous les jours à ses patients « je vais de mieux en mieux », en litanie ou en chapelet. Le fait est que cette méthode est efficace, car le corps et l’inconscient entendent.

Que pensez-vous des médecins qui ne disent pas la vérité au patient ?

J’estime qu’on n’a pas le droit de priver les gens des forces qu’ils pourraient trouver en eux pour survivre. Ce sont souvent les médecins qui ont peur de la mort et qui projettent leurs angoisses sur les malades, auxquels ils ne veulent donc pas dire la vérité. Je suis très en colère contre ceux-là, car ils décident pour autrui sans rien leur demander, et condamnent (sans le savoir) leurs patients, en raison de leurs préjugés. Très souvent, les médecins traitent un organe et non pas un être humain. Ils parlent de « l’ulcère d’un tel », « du cancer de la chambre 32″… sans penser qu’un être humain est plus compliqué qu’une pièce à réparer. Les études de médecine forment à cette approche très mécanique, de moins en moins humaine. Et c’est regrettable.

Le déclenchement de la maladie peut-il être lié à l’histoire familiale de la personne ?

Ce que j’entends par « psycho-généalogie », c’est une compréhension de la généalogie sous l’angle de la psychologie personnelle familiale d’un individu. C’est à dire envisager une personne dans sa niche écologique, avec son héritage familial des dits et non-dits, et des faits et non-faits. On s’aperçoit en effet que l’origine de la maladie peut être liée à des deuils non faits. Un psychanalyste parisien d’origine hongroise disait : « la première génération a des secrets qu’elle cache, la seconde les inscrit dans un caveau à l’intérieur de son corps, et à la troisième génération, un fantôme sort de la crypte et s’exprime par des maladies ». Je suis convaincue en effet que ce qui n’a pas pu se dire avec des mots s’exprime par des maux.

Cacher le cancer d’un parent à son enfant, c’est aussi un secret de famille ?

Je pense que les enfants savent tout. Il faut parler le plus tôt possible, et pourquoi pas d’ailleurs à un enfant non né, in utero ? Ou à un nourrisson ? C’est plus commode ainsi parce que l’expérience prouve, que, si on attend le moment favorable, ce dernier n’arrive jamais ou trop tard et le mal est fait. Le mal, ce n’est pas le fait d’avoir le cancer, mais de le cacher à un enfant, qui va chercher la vérité tout seul et qui risque de tomber sur une fausse explication plus terrible que la vraie. Il en conclut généralement que c’est de sa faute si son parent est malade, et cela entraîne d’énormes dégâts.

Vous avez écrit qu’on ne tombe pas malade à n’importe quelle date, et qu’on ne guérit pas à n’importe quelle date…

Le syndrome d’anniversaire fait qu’on tombe malade ou qu’on décède souvent à des dates anniversaires d’événements traumatisants qui n’ont pas été « clos ». C’est pour cela qu’il est très important de finir les tâches inachevées et d' »enterrer les morts ». Comme beaucoup de mes collègues, je considère le deuil non-fait comme une tâche inachevée. Il est donc important de travailler sur son histoire familiale. Et mieux vaut parfois le faire seul que mal accompagné.

Est-ce que le fait de se projeter dans l’avenir, d’avoir des projets, peut contribuer à la guérison ?

On dit qu’on a l’âge de ses artères, ce qui est vrai, mais je dirai aussi qu’on a l’âge de ses projets d’avenir. Tant qu’on a des projets, la vie continue, et on peut ainsi la prolonger. Certes, parfois, la douleur est tellement envahissante qu’on a du mal à penser à autre chose. Mais quelqu’un, que ce soit une amie, une assistante sociale, ou même une voisine, peut essayer de vous aider à voir ce qui, malgré tout, vous ferait plaisir. On peut ainsi trouver de petits plaisirs, comme le fait qu’on vous apporte quelque chose de bon à manger.

En conclusion et en quelques mots, quel conseil donneriez-vous pour vivre au mieux avec la maladie ?

Quel que soit votre âge, quelles que soient vos maladies, quelles que soient vos difficultés, la vie vaut la peine d’être vécue jusqu’au dernier souffle. Et surtout pensez aux quatre plaisirs par jour, tous les jours de votre vie, et évitez les gens pessimistes !

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