Eminent psychiatre et psychanalyste, Boris Cyrulnik a beaucoup écrit sur le concept de résilience. On entend par là un phénomène psychologique qui consiste à se reconstruire après un événement traumatique. Interviewé par Voix des Patients, il donne quelques clés pour affronter l’épreuve, que l’on soit dans la peau du patient, ou dans celle de l’aidant.
Qu’est ce que la résilience ?
C’est l’aptitude d’un corps à reprendre sa structure initiale après avoir résisté aux pressions. En psychologie, on fait référence à la capacité à vivre et à se développer en dépit de l’adversité.
Quelques conseils donneriez-vous à des patients atteints de maladies chroniques pour les aider à renaître de leurs souffrances ?
Quand on a une maladie chronique il faut distinguer l’affrontement de la maladie dans la synchronie (c’est à dire l’annonce, les traitements…) et la résilience ensuite. Pour se reconstruire, il faut se sentir en sécurité. Celles et ceux qui, dans leur passé, ont été sécurisés, auront davantage de résistance à la douleur. Et inversement. D’où l’importance d’identifier le lieu dans lequel on se sent le plus sécurisé. Il n’y a pas de réponses dans l’absolu.
Pour certains, l’hôpital est source d’angoisses, et de toute évidence, ils seront donc mieux chez eux si c’est possible. D’autres, à l’inverse, se sentent davantage pris en charge et épaulés dans un environnement médicalisé.
De la même façon, il est essentiel de choisir les personnes avec lesquelles on se sent le mieux. Pour certains c’est le psychiatre, pour d’autres le mari ou la femme, pour d’autres, le prêtre… C’est au patient de décider.
Est-on vraiment tous égaux en ce qui concerne notre capacité à faire face ? On a le sentiment que certains, alors qu’ils auraient pu être effondrés, se relèvent moins difficilement que d’autres. Est-ce lié à l’éducation qu’on a reçue ? À des prédispositions génétiques ?
Comme je vous le disais, si on a été sécurisé pendant la petite enfance, il est plus facile de faire face, mais il y a en effet également un petit déterminant génétique, au sens où certains d’entre nous transportent de la sérotonine, laquelle a un effet décontractant et donne davantage soif de vivre.
Vous avez écrit un livre intitulé « Un merveilleux malheur ». Ce n’est pas forcément évident pour des gens frappés de plein fouet par l’épreuve, de concevoir que cette dernière peut être merveilleuse…
Ce n’est pas l’épreuve qui est merveilleuse, c’est le triomphe ! Les gens qui s’en sont sortis sont fiers. Ils ont été plus forts que la maladie. Cela renforce la représentation qu’ils ont d’eux-mêmes.
Existe-t-il des outils, comme l’écriture par exemple, qui permettent de transcender la douleur ou qui sont dotés d’un effet cathartique ?
L’écriture en effet est un précieux facteur de résilience. Je me souviens d’une femme qui me racontait qu’elle était atteinte d’un cancer du sein. Son médecin s’était livré à un monologue, lui expliquant quels médicaments lui donner, si elle allait être opérée ou pas, si on allait lui enlever le sein ou pas. Elle m’a avoué s’être sentie comme une chose complètement passive, n’ayant d’autres choix que d’obéir. Le soir même elle a éprouvé le besoin d’écrire comment elle avait réagi, ce qu’elle avait ressenti… Ses écrits n’étaient pas destinés à être publiés, mais à reprendre possession de son monde intime. Par la suite elle a écrit tous les soirs.
Pour certains, le salut passe par l’écriture, pour d’autres c’est plutôt la peinture, la sculpture, la poésie… mais le principe reste le même.
L’humour est-il un moyen de dédramatiser l’existence ? Même si bien sûr quand on souffre trop, il est compliqué d’y avoir recours…
Vous l’avez dit vous même, quand on souffre, on serre les dents. Et dans ces moments là, il est quasi impossible de faire preuve d’humour. Mais en réalité, on souffre deux fois. Tout d’abord au moment où on reçoit le coup, c’est à dire dans le réel, et à nouveau dans la représentation du coup qu’on a reçu. Dans un second temps, certains arrivent à prendre assez de recul pour ironiser sur la maladie. On constate que ceux là souffrent moins car l’humour est une façon de mettre à distance l’épreuve.
Être résilient, est-ce que cela signifie être guéri ?
Non, la résilience n’a aucun rapport avec la guérison. Ce n’est pas parce qu’on a trouvé une molécule pour guérir, que pour autant, on va être plus résilient. A l’inverse, si on s’en sort à force de résilience, on risque de ne plus vivre comme avant. A noter, il n’est pas rare, alors même que les possibilités physiques sont moindres, que les personnes vivent plus intensément.
Beaucoup se sentent « en sursis » et décident de ne plus perdre une minute d’existence. Elles ont la volonté de mordre la vie à pleines dents.
Et les aidants dans tout ça ?
Si quelqu’un que j’aime souffre, je ne suis pas heureux. Quelle que soit la pathologie, on constate qu’il y a quatre fois plus de dépression chez les aidants que dans le reste de la population. Ils ont donc besoin d’appliquer les mêmes conseils que ceux que j’évoquais pour les patients, à savoir évoluer dans un environnement sécurisant et s’adonner à des activités qui leur permettent de s’évader ou de mettre des mots sur ce qu’ils ressentent. Bien sûr, l’aidant ne souffre pas dans sa propre chair, mais dans la représentation. On observe souvent une amélioration de la relation affective entre patient et aidant. De la même façon, quand la personne qui souffre est guérie, il n’est pas rare de constater un déséquilibre de l’équilibre familial.
Compte tenu que la résilience est un processus très long, n’y a-t-il pas une tentation du découragement, que ce soit pour les patients ou les aidants ? Et comment y faire face?
Je parlerais plutôt d’usure. C’est la raison pour laquelle les aidants doivent se faire aider. Il est très important aussi de revoir la relation entre les médecins, les patients et les proches.
Les médecins doivent expliquer les traitements aux patients. Inversement, les familles peuvent leur apprendre des choses qu’ils ne savent pas au sujet du patient. Quant aux patients, ils ont évidemment leur mot à dire.
Cela suppose une coopération, un co-traitement. La famille doit être reçue et impliquée. Plusieurs études révèlent que cela permet de limiter les rechutes.