Maître de conférences en philosophie à la faculté de médecine de l’Université Paris Diderot, Céline Lefève plaide en faveur d’une relation moins déshumanisée avec les personnes malades à l’hôpital. Pour cela, elle suggère une formation des soignants.
Grâce à l’imagerie médicale, on peut tenter de rendre visible l’intériorité du corps. Paradoxalement, dans le même temps, la personne malade, dans ce qu’elle a de singulier, a le sentiment d’être invisible. Force est de constater une dépersonnalisation des malades qui, à leur admission, ne sont plus considérés que comme des patients. Ils sont dépouillés de leurs identités biographiques et sociales.
La protocolisation des pratiques et la standardisation des parcours suppose un Numéro d’Identification Personnelle, lequel est imprimé sur des étiquettes autocollantes et attribué à chaque patient. Bien sûr, cette pratique permet d’éviter des erreurs et d’assurer la sécurité du patient, mais par la même occasion, cela revient à nier sa personne quand il n’est autorisé à s’exprimer qu’à la condition d’exhiber ses étiquettes.
Céline Lefève explique qu’il ne faut pas sous-estimer le désarroi et la défiance de ces personnes face à que certaines ressentent d’ailleurs comme une humiliation, d’autant que des relations de dépendance s’instaurent. Les patients sont traités comme des usagers du système de santé, et non pas avant tout comme des personnes fragilisées et anxieuses. L’experte ne remet pas en cause l’engagement des professionnels de santé, mais estime qu’il ne faut pas non plus minimiser les efforts et le travail que tous, soignants et soignés, doivent accomplir pour contrecarrer cette dépersonnalisation et réparer les relations de soin.
Cela passe selon elle par le fait de repenser l’organisation à l’hôpital, mais aussi par la formation des professionnels de santé. Des innovations pédagogiques contribuent déjà à cette autre fabrique du regard. Le cinéma, notamment, donne à sentir et à comprendre l’expérience intime et sociale des personnes malades et de leur entourage. Comment mieux saisir les sentiments et les besoins d’une jeune femme qui attend les résultats d’un dépistage de cancer qu’en regardant se métamorphoser Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda ?
Y a-t-il une représentation plus exacte du désarroi du malade en quête de diagnostic que dans les consultations répétées et les nuits sans sommeil du Journal intime de Nanni Moretti ? Titicut follies, N’oublie pas que tu vas mourir, Johnny got his gun… nombreux sont les films qui dépeignent la nécessité, la diversité et les difficultés des relations de soin. Les décrypter permet de voir ce qui, bien que douloureux, peut rester inaperçu…