Dans l’entreprise, les femmes n’osent pas toujours dire qu’elles sont concernées par l’endométriose. Par conséquent, ni leur manager, ni leur équipe ne se rendent compte de ce qu’elles vivent. Il est temps d’en prendre conscience et d’identifier des actions vertueuses. C’est tout l’objet du travail mené par Valérie Desplanches, Présidente et co-fondatrice de la Fondation pour la Recherche sur l’Endométriose.
Votre fondation a été créée en janvier 2021. De quoi êtes-vous la plus fière ?
Créée sous égide de la Fondation pour la Recherche Médicale (FRM) par l’association ENDOmind, notre Fondation finance des programmes de recherche dédiés à cette pathologie. Nous souhaitons fédérer les acteurs de la Recherche pour construire une stratégie commune, mais aussi contribuer au financement de projets de recherche innovants pour faire reculer la maladie. Cela suppose de mieux la comprendre, et donc de l’étudier. Quand les chercheurs que nous accompagnons déclarent : « si la fondation n’était pas là, je n’aurais jamais eu de financement pour ce projet », cela me rend fière. La première jeune chercheuse que nous avons accompagnée et qui a travaillé sur les biomarqueurs précoces dans le sang menstruel, nous a confié que sans nous, elle n’aurait jamais eu d’argent pour son projet. En effet, les projets exploratoires ont un mal fou à trouver des financements, à l’inverse de ceux qui sont étayés par plus d’évidence scientifique. Les fonds ne sont pas facilement accordés quand les résultats sont incertains. C’est pourtant la définition de la recherche… Cette chercheuse est maintenant titulaire à l’Inserm et travaille à 100 % sur l’endométriose.
Vous avez une carrière dans de grands groupes internationaux. Qu’est ce qui vous a donné envie de vous lancer dans l’aventure de cette fondation ?
Je suis ingénieur de formation, et j’ai fait de la recherche-développement dans des groupes, notamment chez Danone où je suis restée 23 ans. J’ai beaucoup travaillé sur la nutrition des enfants et des bébés. Quand j’ai découvert que ma fille était atteinte d’endométriose, j’ai voulu me consacrer à cette maladie. Depuis sa puberté, elle avait des douleurs importantes, mais aucun médecin n’avait fait le lien avec l’endométriose. Sa gynécologue bottait en touche, si bien que j’ai pris rendez-vous avec un expert du sujet, qui a en effet constaté qu’elle était concernée par cette maladie. Elle s’en sort bien car elle a été bien orientée, mais je pense à toutes ces jeunes filles qui n’ont pas ce type d’accompagnement et qui ont en face d’elles des professionnels de santé qui ne les écoutent pas. C’est catastrophique…
… Oui. D’autant que les répercussions sont souvent lourdes ?
Absolument. Au-delà des éventuelles atteintes rectales, des stomies, des projets de maternité souvent contrariés, l’endométriose est un énorme boulet. Ma fille a suivi des études supérieures, pour partir à l’étranger. Elle a pu avoir un joli cursus, mais combien de jeunes femmes n’ont pas cette chance à cause de la maladie ? Parce qu’elles ratent des heures de cours, elles ont du mal à poursuivre leurs études et s’isolent. Ce qui est frappant, c’est que beaucoup de familles vivent au rythme de ces jeunes filles. Elles s’interdisent de sortir, d’aller en vacances dans certains endroits… Finalement, toute une tribu est impactée par la souffrance.
Les femmes concernées par la maladie déploient des stratégies incroyables pour gérer au mieux leur quotidien. Cette résilience pourrait être valorisée dans l’entreprise ?
Oui, au lieu de voir des femmes « diminuées », on pourrait au contraire les considérer comme des êtres « augmentés ». Pour autant, doivent-elles minimiser leurs difficultés et serrer les dents, ou au contraire « se démasquer » ? Je me garderai bien de donner des conseils parce qu’en réalité, cela dépend énormément du contexte. Je ne recommanderais certainement pas une femme qui n’est pas dans un environnement propice de se dévoiler. S’il n’y a pas cette bienveillance du côté du manager, elle risque d’être stigmatisée. En revanche, je recommande d’en parler au médecin du travail. Or il y a une forte réticence à le faire.
C’est en effet l’un des enseignements de l’enquête que vous avez menée. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet ?
Nous avons en effet mené une enquête quantitative au sein de l’entreprise General Electric, une entreprise très concernée par la santé de la femme, et le retour à l’emploi. Nous avons fait un appel à un institut spécialisé pour poser différentes questions aux femmes suspectées d’avoir l’endométriose ou déjà diagnostiquées. Nous avons eu près de 20 % de taux de réponse, là où il n’y a généralement que 5 % de retour en moyenne sur ce type de sondages. Beaucoup de répondants ont été intéressés, parmi lesquels des hommes. Nous avons aussi posé des questions aux aidants, souvent fortement impactés. Les chiffres montrent que 89 % des femmes ont des douleurs importantes ou très importantes, 26 % souffrent d’anxiété et 89 % s’obligent à aller travailler. L’objectif c’est de présenter les résultats de l’enquête aux entreprises avec notamment des pistes d’amélioration, comme par exemple la mise en place du télétravail qui peut souvent changer la vie.
Pensez-vous que le congé menstruel, dont on parle beaucoup, soit aussi une piste intéressante ?
Je ne crois pas, car cela stigmatise les femmes. La solution, ce n’est pas des jours d’absence, car elles ne veulent pas s’absenter. En revanche, elles aspirent à des horaires plus flexibles, à des possibilités de télétravail, à de meilleurs équipements dans les locaux… » Il me paraît plus pertinent de récompenser des entreprises qui mettent en place des actions adaptées aux besoins des femmes et des aidants. Mais ces actions ne peuvent marcher que si tout le monde est sensibilisé dans l’entreprise et conscient que c’est un facteur d’inégalité. Il faut donc prévoir un accompagnement, à la fois pour que les femmes osent en parler. Mais aussi pour les managers. Certains ont le sentiment d’être intrusifs car ce sont des sujets intimes. Il y aussi ceux que ces sujets n’intéressent pas et qui sont dénués d’empathie. Enfin, il y a ceux qui aimeraient bien mais qui ne savent pas comment faire, comment écouter, comment proposer ? Il faut les accompagner sur ces questions.
C’est le sens de votre projet de charte et de labellisation d’entreprises ?
Oui. Nous avons démarré la sensibilisation l’année dernière. Les résultats de l’enquête que j’évoquais révèlent que 62 % des femmes ne parlent pas de leur maladie. Pour celles qui le font, elles en parlent à une collègue, mais pas à leur manager ni aux médecins du travail. A l’heure actuelle, les femmes n’osent rien demander sachant qu’il n’y a pas de compréhension autour d’elles.
Même si elles sont encore peu nombreuses, y a-t-il un profil type des entreprises qui s’intéressent à ces enjeux ?
Les entreprises de santé, par souci d’exemplarité, sont assez présentes sur ces sujets. Tout comme les mutuelles. Je note que beaucoup de start-up et de petites boîtes mettent en place des actions, probablement parce que les jeunes y sont très représentés et que ces sujets sont moins tabou, avec une parole beaucoup plus libérée.
Avez-vous le sentiment que la France est en retard par rapport à d’autres pays dans sa façon d’aborder l’endométriose dans l’entreprise ?
C’est une maladie trop peu prise en compte, hélas, dans beaucoup de pays. Certains sont tout de même un peu précurseurs. C’est le cas du Canada, où des associations sont très actives pour faire bouger les choses. Des études y ont été publiées, et révèlent que les femmes concernées par l’endométriose perdent en moyenne 11h par semaine puisqu’elles ne peuvent rien faire à cause de cette maladie. Mais en France, on ne dispose pas du même type de documentation. L’Australie a par ailleurs été le premier pays à proposer une stratégie nationale en 2018, mais 5 ans plus tard, seulement 30 % du plan avait été mis en œuvre. Le Royaume-Uni essaie d’avancer sur la santé de la femme, et a nommé une ambassadrice sur ces sujets.
Ce retard en termes de prise de conscience n’est-il pas lié à une méconnaissance de la maladie ?
Si clairement. Beaucoup de gens pensent que l’endométriose se traduit juste par des douleurs pendant les règles, mais les symptômes vont au-delà. Ils sont d’ordre digestifs, urinaires… Sans parler des problèmes de dos, de fatigue chronique… Certaines femmes ont d’ailleurs remonté leur envie d’une salle de repos. Ce type d’initiatives pourrait d’ailleurs bénéficier à tous, hommes et femmes, concernés par des maladies chroniques. Il existe des solutions. Il est temps de les déployer…
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