Les patients de plus en plus acteurs de leur maladie

Ma maladie
Les patients de plus en plus acteurs de leur maladie

Le rapport de force des patients avec les soignants s’est totalement transformé ces dernières années. En effet, ils sont de mieux en mieux informés et aspirent à ce que leurs droits soient reconnus.

Yvanie Caillé n’a que 28 ans lorsqu’elle est dialysée. Une maladie rénale avait certes été diagnostiquée à l’âge de 12 ans, mais elle l’avait « mise de côté ». Sa mère lui donne l’un de ses reins le 31 mai 2002. « Je me souviens de la détresse que j’ai ressentie lorsque mon état de santé s’est dégradé et m’a conduite en dialyse, raconte-t-elle.

Parce que je ne connaissais personne qui soit passé par là, parce que j’étais terrorisée par ce qui m’attendait, parce que j’ignorais tout du traitement et de ses conséquences. Cette peur de l’inconnu a rendu les choses encore plus difficiles, et je pense aujourd’hui que si j’avais pu échanger avec d’autres personnes ayant vécu des expériences similaires, mon angoisse aurait été bien moindre « , témoigne-t-elle aujourd’hui.

C’est précisément parce qu’elle n’a pas pu bénéficié d’informations et d’échanges qu’elle a monté Renaloo, et mis en place un forum de discussion. Dix ans plus tard, cette association s’attaque à la prise en charge des patients. Elle a piloté les états généraux du rein, qui ont réuni associations, professionnels et hôpitaux impliqués dans les maladies rénales. En effet, les soins, qui se faisaient à l’hôpital, s’effectuent de plus en plus à domicile.

L’accès à Internet change aussi le comportement des malades et la relation avec les soignants. Car les patients sont de mieux en mieux informés. Et ils savent aussi se faire entendre. Ils se mobilisent très fortement, créent des associations, demandent à participer aux orientations de la recherche et s’imposent comme acteurs de la santé. En France, la mobilisation des associations de lutte contre le sida (Aides, Act Up), puis les Etats généraux du cancer, fin 1998, et ceux de la santé ont conduit à la loi du 4 mars 2002 sur le droit des malades et la qualité du système de santé, dite loi Kouchner.

Désormais les patients peuvent accéder à leur dossier médical et les usagers sont représentés dans les établissements de santé. « Chaque individu, même malade, demande à être considéré avec respect et dispose du droit de participer aux décisions importantes qui conditionneraient son avenir. Le patient est donc regardé de plus en plus comme un partenaire et un acteur du soin », explique Luigi Flora, chercheur en sciences humaines et sociales, auteur d’une thèse sur ce thème, et lui-même atteint de plusieurs maladies chroniques.

Le médecin paternaliste et tout puissant n’existe quasiment plus. Mais même si des progrès ont été réalisés, les droits actuels ne suffisent pas, selon Thomas Sanni, président de l’Association française des hémophiles (AFH). L’Alliance maladies rares, qui regroupe 200 associations, pointe aussi du doigt un manque d’information, des errances de diagnostic, la difficulté à trouver un médecin généraliste, et à se faire entendre des professionnels. D’où le rôle essentiel des associations, qui se battent aussi pour faire avancer la recherche. « Rien sans nous », tel est le titre du manifeste que vient de lancer, mardi 18 juin, Christian Saout, ancien président du Collectif inter-associatif sur la santé (CISS). Il a créé, avec Gérard Raymond, président de l’Association française des diabétiques (AFD), un think tank de patients appelé Coopération patients qui formule des propositions pour améliorer la lutte contre les maladies chroniques et la prise en charge des patients.

Certes, en France, la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de 2009, dans son article 84, a pour la première fois marqué la reconnaissance de l’éducation thérapeutique du patient, inscrite dans le code de la santé publique. Son but, tel que défini par l’OMS en 1998 : « Aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique ». Il s’agit d’encourager les patients à prendre soin d’eux-mêmes, à mieux comprendre leur maladie, leur traitement, et à améliorer leur qualité de vie (alimentation, activité physique…).

Certaines associations n’ont pas attendu cette reconnaissance par la loi. L’Association française des hémophiles s’est engagée dans l’apprentissage de l’autotraitement depuis le milieu des années 1970 et promeut l’éducation thérapeutique du malade, notamment grâce à la mise en place d’un patient référent appelé patient ressource. Elle organise même des stages. Elle a édicté dix principes majeurs à ses yeux et invite toutes les personnes atteintes de maladies chroniques, les associations, les autorités de santé, à s’approprier et à enrichir ces principes.

De son côté, SOS hépatites propose aux infirmières des formations sur les traitements par injection. Patient ressource, usager expert, patient sentinelle, patient blogueur : il existe pléthore de termes pour désigner ces patients actifs. Certains sont même formateurs dans les facultés de médecine, tel Vincent Dumez, contaminé accidentellement par le virus du sida dans les années 1980. Militant associatif, il dirige aujourd’hui le bureau de l’expertise patient partenaire à la faculté de médecine de l’université de Montréal.

Cette expertise du patient au service d’une faculté de médecine commence à se développer aussi en France. Mais même si des savoirs issus du vécu de maladies chroniques commencent à être envisagés comme pertinents en eux-mêmes, nombreux sont les médecins qui ne reconnaissent pas la compétence des patients et leur expertise « profane ». Le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, avait mis l’implication des patients au centre du dispositif, dans son discours sur la stratégie nationale de santé, le 8 février.