Pianiste virtuose, Min-Jung Kym, a été touchée par un cancer du sein très agressif. La musique l’a beaucoup aidée, notamment grâce à son pouvoir émotionnel. Les thérapies complémentaires et les facteurs d’aide à la guérison sont nombreux. Ils n’apportent pas de solution « miracle », mais alliés aux traitements, ils permettent de mieux vivre la maladie. C’est ce que raconte Min-Jung, en expliquant la façon dont la musique lui a permis de dépasser son cancer.
Le piano vous a aidé à surmonter cette épreuve. Qu’est-ce que vous avez envie de transmettre aux autres patients, même quand ils ne sont pas virtuoses comme vous ?
J’ai pratiqué la musicothérapie quand j’étais étudiante à Londres. Je suis d’origine coréenne mais je suis née et j’ai grandi en Angleterre. Au conservatoire, j’ai participé à des ateliers de musique thérapeutique, que ce soit dans des EHPAD ou des hôpitaux… J’ai pu constater à quel point la musique avait un impact sur leur bien-être. » J’étais donc convaincue des bénéfices positifs sur notre mental, mais cela s’est vérifié quand j’ai été diagnostiquée. Cette fois-ci, j’ai pratiqué la musicothérapie pendant le traitement en tant que patiente. C’est une perspective très différente…
Comment avez-vous réagi à l’annonce de la maladie ?
Je n’avais aucuns antécédents, ni rien à signaler. Cela a donc été un choc très surprenant quand l’annonce m’est « tombée dessus ». D’autant que le mot « cancer » suscite beaucoup d’angoisse. Tout d’un coup, j’étais plongée dans un univers totalement inconnu pour moi. J’avais peur, j’avais deux enfants très jeunes. La première chose qui m’est venue à l’esprit, c’était de savoir ce qu’ils allaient devenir si je ne m’en sortais pas. J’ai choisi de ne pas partager cette épreuve avec le public, parce que dans le milieu de la musique, c’est très difficile de convaincre les producteurs. Je craignais que cela nuise à ma carrière. Dans la mesure où je parvenais à continuer à jouer, je restais très discrète sur le sujet.
Pourtant, vous avez finalement eu envie de partager votre vécu…
Je faisais des points réguliers avec mon oncologue à l’Institut Raphaël, pendant le traitement, puis ensuite pour des contrôles. Dans cet établissement, ils proposent beaucoup de thérapies complémentaires aux patients. Puis, avec Alain Toledano, médecin et co-fondateur de cet Institut, nous avons pensé qu’il serait intéressant de partager mon expérience auprès du grand public. Il était temps d’en parler car cela commençait à se voir : j’avais perdu mes cheveux et j’avais hélas un peu tous les signes classiques d’un cancer. J’avais envie de dire à tous qu’après cette maladie, la vie peut recommencer. On peut y retrouver goût. Même s’il faut bien reconnaître que cela bouleverse tout le monde. Pas seulement le patient, mais aussi l’entourage. On ne fait pas ce voyage seul.
Est-ce grâce à une mammographie que vous avez découvert une anomalie ?
Je n’avais aucun symptôme. Je me sentais très en forme et active comme je le suis toujours. À l’époque, j’avais beaucoup de concerts et de projets en cours. Puis j’ai senti comme une bulle dans le sein. En fin de compte, la bulle était partie et mon cancer n’avait rien à voir avec elle. Toutefois, le fait de la sentir a été la chance de ma vie, sinon, je ne me serais pas faite diagnostiquer. Ce sont en effet les examens et notamment la biopsie qui ont révélé une importante tumeur. Il fallait que je fasse une mastectomie. Puis une autre anomalie a été découverte au niveau du côlon, alors que j’étais en pleine chimiothérapie. C’était un second cancer, heureusement pas métastasé. Je me sentais vraiment impuissante avec le sentiment que mon corps me lâchait. J’ai utilisé la musique comme une force pour canaliser mes émotions, et me suis mise à jouer quelques morceaux. Ou à en écouter quand j’étais trop épuisée. »
Vous arriviez à trouver la force de jouer ?
Chez nous, le piano nous accueille directement quand on entre dans l’appartement. Je le voyais, mais j’étais tellement fatiguée que je ne parvenais pas à m’y mettre. Sauf pour certains morceaux très simples. Cela me permettait de m’exprimer avec toutes les émotions qui accompagnent ce moment de la vie. Il faut avoir le pouvoir d’accepter la maladie, puis les traitements. Et éventuellement la colère. Je me sentais suffisamment armée parce que j’avais le soutien de mon mari, celui d’Alain Toledano, celui de l’Institut… J’avais la musique et surtout, j’ai eu la chance d’être diagnostiqué suffisamment tôt, si bien que je savais qu’il y avait quand même de l’espoir.
Et pour ceux qui ne sont pas musiciens, quels conseils avez-vous envie de partager ?
On n’a pas besoin de pratiquer un instrument pour pouvoir tirer les bénéfices de la musicothérapie. J’ai d’ailleurs enregistré un album avec une tracklist personnelle constituée d’une dizaine de morceaux qui m’ont accompagnée tout au long de cette période de ma vie. Ils m’ont apporté beaucoup de réconfort, de consolation, et la force de me reconstruire. J’en jouais pour mes enfants, parce qu’à un moment donné, c’était très important de leur signaler que j’allais bien. Et que le bout du tunnel n’était pas loin. Pour les personnes qui n’ont pas cette capacité à jouer, je leur recommande d’écouter des morceaux qu’ils écoutaient quand ils étaient plus jeunes. Des morceaux qui racontent une histoire très personnelle, des souvenirs positifs.
En ce qui vous concerne, quels morceaux avez-vous joué ?
« Over the Rainbow », issu du film « Le magicien d’Oz ». Parce que quand j’ai regardé ce film, j’étais éblouie par le monde multicolore de Dorothy, laquelle tisse des relations avec trois amis qui sont là pour la vie. C’était aussi pour moi l’occasion de signifier un monde au-delà. Le deuxième morceau que je continue à jouer aujourd’hui, c’est un impromptu de Schubert. Il l’a composé vers la fin de sa vie. Je me demande ce qui tournait dans son esprit à ce moment-là. Je pense que c’était une sorte d’acceptation du fait qu’il allait mourir.
L’œuvre de Mozart est considérée comme sacrée, de par les vibrations qu’elle génère. Est-ce que vous pensez que de par le côté très mélodieux, très harmonieux, la musique classique peut aider davantage que des œuvres plus actuelles ?
Tout type de musique peut aider. Parce que ce n’est pas un hasard si certains morceaux sont composés dans une certaine tonalité. Dans mon livre, La musique pour dépasser le cancer, co-écrit avec Alain Toledano, je parle précisément de cela. Un morceau composé en Ré mineur, par exemple, c’est une tonalité très dramatique. Tous les requiems sont écrits dans cette tonalité, par exemple. Le « la bémol majeur » est très onirique… Le type d’instruments (à cordes, à vent…) a aussi un impact sur les vibrations et l’expérience vivante. La musique est vraiment un facteur de partage. Même si on joue seul, on partage ce moment intime avec le compositeur. En tant qu’interprète, on essaie de transmettre le message du compositeur.
Est-ce que dans ces moments-là, on est particulièrement en quête de beauté et d’absolu ?
Sans doute, on oscille entre la colère et la foi, en se disant qu’avec l’entourage et le corps médical, ça va aller. Tant qu’il y a la vie, il y a toujours l’espoir. Il faut trouver des choses qui résonnent en soi. La musique peut vraiment y aider. »
La musique est souvent associée à la joie. Quand on chante, c’est souvent qu’on est heureux. Pendant les traitements, on peut ne pas avoir envie de cela…
En effet, il y a des moments où je n’avais pas envie. On a parfois besoin de silence. Pour moi, la musique, c’est ma vie, mon identité. L’idée c’est aussi d’encourager les patients à trouver une activité qui leur plaise : l’art thérapie, la dramathérapie, le sport, le bridge, la lecture…
L’important c’est de pouvoir trouver quelque chose qui vous permette de sortir, même temporairement, d’un monde anxiogène. Et de pouvoir relativiser en prenant conscience de notre capacité à apprécier quelques minutes, une vie hors de la maladie et des traitements, pour se donner un moment pour soi. Il ne s’agit pas de minimiser la violence de la maladie parce que malheureusement elle est cruelle.
Comment cette épreuve vous a-t-elle transformée ? Qu’a-t-elle éveillé en vous ?
On n’est jamais la même personne avant et après. En ce qui me concerne, cela m’a donné une force de vie et l’envie de partager ce langage universel qu’est la musique. Cela m’a donné aussi beaucoup de gratitude envers les soignants, et tout ce qu’ils font pour les patients. Cela a aussi affûté mon sens de l’espoir, que j’ai désormais envie de transmettre. J’ai envie de continuer à vivre avec plein de force, plein d’énergie et plein de transmission.
M-FR-00013091-1.0 – Établi en janvier 2025