Tony Moggio a failli mourir sur un terrain de rugby. Le destin et son extraordinaire goût pour la vie en ont décidé autrement. Muriel Epailly a quant à elle été victime d’un accident de la route. Adam Gorlitsky, paralysé des membres inférieurs, a lui remporté une course de fond grâce à un exosquelette. Trois portraits à découvrir d’urgence !
« Être là où l’on m’attend le moins »
Aujourd’hui tétraplégique, Tony Moggio, 36 ans, mène de front vie de famille, engagement pour accompagner les familles touchées par le handicap et prévention des risques liés à un sport dont il reste le premier VRP… De son passé de rugbyman, Tony Moggio a incontestablement gardé l’art du contre-pied… Ou plutôt, comme commenteraient les spécialistes de l’ovalie, l’art du « cadrage-débordement ». Ne comptez donc pas sur lui pour dénigrer l’activité sportive qui l’a rendu tétraplégique le 7 février 2010, un jour de match de championnat avec son club de Castelginest. L’homme reste, plus que jamais, un passionné. « J’adore ce sport. Je continue à regarder les matchs à la télé ou à me rendre au stade. J’ai un fils et si un jour il veut pratiquer le rugby, je l’encouragerai à le faire pour toutes les belles valeurs que ce sport m’a apprises. Je ne ressens aucun regret, aucune amertume, ni aucune aigreur envers qui ou quoi que ce soit. Oui, le rugby est un sport de contact, mais en aucun cas un sport violent ou dangereux. Je veux, à mon humble niveau, travailler à prévenir les risques pour les pratiquants et continuer à réfléchir avec les autres acteurs du rugby aux moyens de sécuriser au maximum le jeu pour qu’il n’y ait plus à l’avenir d’autres familles qui souffrent », explique-t-il. C’est d’ailleurs tout l’objet de son livre écrit en collaboration avec Bruno Fabioux, ancien reporter au Midi Olympique, intitulé Les accidents dans le rugby – Ma vérité, publié chez Privat. Car quoi qu’il en dise, l’accident de Tony, survenu lors d’une phase de mêlée, n’est pas exclusivement « la faute à pas de chance ». D’ailleurs sa mobilisation a d’ores et déjà porté ses fruits… Son premier ouvrage, mais aussi, malheureusement, les autres accidents survenus, ne sont pas étrangers à l’évolution du règlement en mêlée, à la rédaction de protocoles commotion ou encore la mise en place du carton bleu (possibilité pour l’arbitre de sortir définitivement un joueur en cas de suspicion de commotion cérébrale, avec un repos obligatoire au minimum de 10 jours avant de pouvoir jouer de nouveau). À la question « comment va-t-il aujourd’hui ? », la réponse ne se fait pas attendre, cinglante, à l’image de ses convictions :
Je vais vraiment très bien. Je suis très heureux. J’ai tout ce dont un homme rêve : une famille unie et aimante, un magnifique enfant Gianni et des projets plein la tête… Que demander de plus ?
Cette positivité malgré l’épreuve en fait un symbole de résilience qui force l’admiration, suscite le respect, interroge aussi… Lui comprend, en est fier, mais ne s’y attarde pas. Les défis n’attendent pas pour celui qui a créé l’association Tous pour tous et qui est tour à tour, écrivain, conférencier, sportif accompli, chroniqueur télé, mari, père de famille… « Je n’ai jamais pensé une seule seconde à me laisser mourir. J’aime trop la vie. Des projets, je n’en manque donc pas. D’ailleurs, depuis mon accident je me fixe régulièrement des challenges à relever. C’est ce qui me fait avancer : j’aime comprendre, apprendre, rencontrer les gens, échanger avec eux, les conseiller en toute humilité, me dépasser et repousser les limites. Bref, être là où l’on ne m’attendrait pas forcément », se félicite-t-il.
Si l’on m’apprenait que la fin du monde est pour demain, je planterais quand même un pommier, c’est le titre de son 3ème livre qu’il vient de publier. Très récemment, il a défrayé la chronique pour avoir descendu à ski la Vallée blanche de Chamonix !
« C’était impossible, alors je l’ai fait ! »
Elle n’avait que 15 ans quand un accident de la route l’a privée de l’usage de ses jambes et de ses bras. Muriel Epailly repousse chaque jour les limites du possible, revêtant tantôt les costumes de dessinatrice, d’écrivaine, d’entrepreneur, d’adepte de sports extrêmes ou celui de femme, tout simplement. « La vie est difficile en temps normal. Pour toi, ma fille, elle sera 10 fois plus dure… Mais pas impossible ». Ces quelques mots résonnent encore aujourd’hui dans la tête de Muriel Epailly. Prononcés par son père, ils expliquent, à coup sûr, la rage de vivre et cette incroyable envie de surmonter l’adversité qui l’animent depuis 20 ans… Depuis ce terrible jour d’avril 1999 qui l’a vu perdre l’usage de ses bras et de ses jambes, sa vie n’est pas facile ! Son père avait raison. Même quand il lui a dit que « rien n’était impossible ». Pourquoi ? Parce que Muriel était en vie. Une nouvelle vie, à réinventer, certes, du haut de ses 15 ans, mais une vie quand même… Cette chance, oserait-on dire, sa mère et sa petite sœur ne l’ont pas eue. Elles sont décédées dans l’accident de voiture qui a rendu Muriel tétraplégique :
Par respect pour elles et en leur mémoire, je n’ai pas le droit d’abandonner. Je vis aussi pour elles. Même s’il y a des jours où c’est très compliqué, parce qu’être en situation de handicap dans la société actuelle, c’est un parcours du combattant au quotidien.
Si la résilience avait un visage, ce serait celui de cette Lyonnaise de 38 ans. « Oui les gens, à commencer par ma famille, disent que je suis courageuse. Ils sont à chaque fois surpris et admiratifs de ce que je réalise, des projets que je mène à terme, des défis que je m’impose. Mais, à dire vrai, je n’ai pas le choix. Je dois avancer. Je ne vais pas rester enfermée chez moi à ne rien faire », explique-t-elle. Ce n’est assurément pas dans son tempérament, elle qui a décroché un CAP Pâtisserie. Là encore une satisfaction personnelle et un écho au message de son père… « Rien n’est impossible ». « C’est devenu mon slogan de vie. Cela m’a permis de faire du parachute ascensionnel, de conduire un jet-ski, de suivre des cours à l’école d’art et création Bellecour de Lyon pendant deux ans, de reprendre le dessin et les portraits d’après photos, d’écrire un livre, d’écrire mon one-woman-show avec l’ambition de monter bientôt sur scène et de démontrer qu’une personne en situation de handicap peut aussi faire rire et ne pas se prendre au sérieux… », détaille Muriel.
Loin d’être une façade, cette jovialité est ancrée en Muriel, qui tente de retenir l’aspect positif de chaque situation… Depuis que les restrictions sanitaires sont moindres, elle a pu reprendre les cours de yoga. Un bonheur pour celle qui est restée chez elle pendant de longs mois, car son insuffisance respiratoire la mettait trop à risque. « Je me repose aussi, car je ne nie pas la réalité qui fait que physiquement c’est dur et que mon corps ne suit pas toujours. Je dois donc penser à prendre soin de moi. Chez moi, beaucoup de choses sont bien adaptées à une personne en situation de handicap. Je peux facilement circuler. Je bénéficie aussi au quotidien de la présence d’auxiliaires de vie. Si besoin, je n’hésite pas à demander de l’aide. Il faut trouver le juste équilibre », précise-t-elle. Les épreuves rendent souvent très philosophes… Son livre intitulé Et si je restais – L’histoire d’un combat, celui d’une vie est sorti le 20 octobre 2021. Et tout récemment, elle s’est inscrite à la fac pour faire un DU patient expert en handicap. « Je vais travailler sur le thème de la sexualité des personnes handicapées. Ce sujet me tient à cœur », conclut-elle.
Dépasser le handicap : la course de fond d’Adam Gorlitsky…
33 heures, 50 minutes et 23 secondes. C’est le temps qu’il aura fallu à Adam Gorlitsky, paralysé des membres inférieurs, pour parcourir les 42 kilomètres du marathon de Charleston (Caroline du Sud), établissant au passage un nouveau record du monde. Comment ? À l’aide d’un exosquelette robotique. Retour sur un exploit « surhumain » et une performance sportive hors normes…
On connaissait l’homme qui valait 3 milliards… Adam Gorlitsky vaut, quant à lui, au moins 100 000 euros ! Du moins, son exosquelette. Ledit équipement, développé par la société ReWalk, a en effet permis à cet Américain de 34 ans – paraplégique suite à un accident de voiture survenu en décembre 2005 – de courir et surtout terminer le marathon de Charleston, sa ville natale où il avait à cœur de marquer les esprits devant un public acquis à sa cause. Ce fut donc chose faite le 11 janvier 2020. Si la facture de l’innovation technologique que constitue l’exosquelette est mesurable, la prouesse sportive et humaine n’a, elle, assurément pas de prix pour Adam Gorlitsky, qui a pris le départ de la course le jeudi soir pour franchir la ligne d’arrivée dans la matinée du samedi suivant. Et ce, sans jamais prendre de pause, pas même pour dormir ! Au-delà de son « chrono » record, le franchissement de la ligne d’arrivée sonnait déjà, en lui-même, comme une victoire pour celui qui s’était attaqué au marathon de Los Angeles en mars 2019, mais qui avait dû arrêter après 27 kilomètres de course. « En réalité, cet exploit revient aussi à toutes celles et ceux qui ont couru avec moi. Car tout au long du parcours, de nombreux groupes de personnes ont couru ou marché à mes côtés pendant un ou plusieurs miles. Je ne me suis donc jamais senti seul durant ces 34 heures » expliquait un Adam Gorlitsky épuisé, mais reconnaissant.
Une chose est sûre : malgré toute sa bonne volonté, Adam Gorlitsky n’aurait pu réussir cet exploit sans le concours de la technologie. Comprenez sans le recours à un exosquelette robotique, sorte d’armure motorisée reliée à des capteurs (électrodes) implantés près de son cerveau. Ce sont ces électrodes qui captaient les signaux envoyés par le cerveau d’Adam pour les traduire, dans un second temps, en signaux moteurs et permettre la mise en mouvement des jambes. En d’autres termes, pendant toute la course, Adam Gorlitsky contrôlait son exosquelette et ses « jambes bioniques » par la pensée. « Chez les paralysés des quatre membres ou des membres inférieurs suite à une fracture de la colonne vertébrale, comme pour ce qui me concerne, le cerveau est toujours capable de générer les ordres qui habituellement font bouger les bras et les jambes, sauf que mon corps n’est plus en mesure de les exécuter. L’exosquelette est là pour combler ce manque », explique Adam Gorlitsky. Mais attention, courir avec un exosquelette ne s’improvise pas et une pratique quotidienne est indispensable pour maîtriser l’outil et supporter les efforts physiques et psychiques nécessaires. Adam Gorlitsky n’est pas un novice en la matière. « Je suis souvent présenté comme une personne handicapée, mais, à travers cet engagement sportif, je veux démontrer que ma blessure à la moelle épinière ne définit pas qui je suis. Mes blessures, mon handicap physique, voire les adversités que je rencontre, ne définiront jamais qui je suis. Par contre, mes actions, oui ! », martèle l’athlète, comme un message à destination des valides et des invalides, histoire de faire évoluer les mentalités et le regard porté par la société sur le handicap. L’homme, à la tête de la fondation I got legs, organisation à but non lucratif, souhaite participer à améliorer la vie des personnes en situation de handicap.
M-FR-000064566-1.0 – Établi en mars 2022