Schizophrénie : des raisons d’espérer ?

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Schizophrénie : des raisons d’espérer ?

Comment la schizophrénie est-elle vécue aujourd’hui ? Laurent Marty, anthropologue, est allé poser la question aux différentes personnes impliquées dans la maladie. Il a demandé à chacun de raconter une ou deux histoires de patients. Les psychiatres, les psychologues, les infirmiers et les travailleurs sociaux ont raconté les histoires des patients qu’ils avaient accompagnés. Les parents ont raconté l’histoire de leur enfant. Les patients ont raconté leur propre histoire. Cela a donné naissance à un livre : « Histoires de patients atteints de schizophrénie » (Convergence Edition) que vous pouvez télécharger sur le site EdiPsy.

Autour de quatre récits de patients, il présente dans La voix des patients cette chronique des schizophrénies aujourd’hui.

Voici la première chronique :

L’histoire de John et l’histoire de Jean

Peut-on espérer « s’en sortir » ? C’est ce que laisse entendre l’histoire de John Nash, mathématicien célèbre, Prix Nobel, qui a du apprendre à vivre avec la schizophrénie. Grâce au film « Un homme d’exception » [1], tout le monde ou presque connaît l’histoire (véridique) de John Nash. Attention, le film « Un homme d’exception » n’est pas dans l’optimisme béat! Il ne cache rien de la terrible gravité de la maladie. Mais il montre aussi l’espoir qui a porté cet homme, soutenu par son épouse et par les soignants.

L’espoir n’existe pas que dans les films américains, et pour les futurs Prix Nobel… Les différents acteurs de la schizophrénie que j’ai rencontrés en parlent, chacun à sa manière, et j’ai retenu de leur propos quatre raisons d’espérer. Mais écoutons l’histoire de Jean, telle qu’il me l’a racontée dans un entretien.

Jean avait 18 ans quand le mot « schizophrénie » est apparu dans sa vie. Aujourd’hui, 10 ans après, il est assis en face de moi dans le petit bureau le temps de l’entretien. Il a retrouvé une vie quasi normale, même s’il se plaint encore d’une certaine pesanteur. Il me parle de la psychologue qui l’accompagne aujourd’hui, et ses traits se détendent;  quand il en vient raconter sa  rencontre avec sa compagne, un sourire éclaire son visage. Au début de l’entretien, je l’ai senti plutôt tendu, les mains crispées sur le fauteuil. Il parle en phrases brèves et saccadées, de plus en plus contracté à mesure qu’il avance dans le rappel de son histoire. La souffrance de ses années de jeunesse bouleversées par la maladie, comme d’autres ont été marqués par la guerre, remonte ici. Plus il parle, plus il se tasse dans le fauteuil… Je me dis que l’entretien va être bref, il ne voudra pas aller plus loin, ou bien c’est moi qui l’interromprai, je ne peux pas le laisser s’enfoncer dans des souvenirs trop difficiles à porter.

A ce moment précis, il suspend son récit fait d’éclats brisés, prend un temps de pause comme s’il rassemblait ses idées. Il se redresse, sa poitrine se desserre, prend appui sur les bras du fauteuil, et se met à raconter presque tranquillement: une adolescence marquée par le mal-être, le cannabis, de plus en plus, et d’autres  produits. Il vit mal la rupture avec la famille quand il s’installe seul dans une autre ville pour faire ses études. Première crise, hospitalisation, premiers suivis, premiers traitements. Les psychiatres lui parlent d’abord d’état-limite,  puis évoquent des tendances schizophréniques. Il se documente, lit tout ce qu’il peut trouver. Le diagnostic est finalement confirmé par son psychiatre. C’est le début d’une prise en charge qui le conduira jusqu’au rétablissement – rétablissement sans lequel je ne serais pas là à converser avec lui sur sa maladie. Il me parle de sa nouvelle vie avec sa compagne. Il sait que son avenir sera toujours lié à la maladie, mais il sait aussi que maintenant il n’est plus hors du monde.

Au terme de l’enquête, après avoir entendu les points de vue d’autres patients, de parents, de psychiatres, psychologues, infirmiers et accompagnants, voici les 4 raisons d’espérer que je constate :

1. L’amélioration de la situation des patients. Après « l’asile »

La schizophrénie est la maladie mentale la plus grave et la plus mystérieuse. Et pourtant la condition des patients s’est améliorée, grâce à l’énorme travail réalisé par les chercheurs, thérapeutes, accompagnants, aidants. Cette pathologie n’est plus synonyme d’enfermement comme à l’époque d’Adèle Hugo ou Camille Claudel: elle est porteuse d’espoir.

2. Nous avons un système de réponses « sophistiqué »

À la complexité de la pathologie, un ensemble complexe de réponses a été apporté: diversifié, chaque intervention de soin étant le résultat de recherches approfondies et de savoirs pratiques longuement expérimentés.

3. Un autre regard sur la maladie

Comme dans d’autres pathologies, les patients apprennent à vivre avec la maladie sans avoir peur d’en parler. Il est moins question de se libérer de la schizophrénie, mais plus de l’espoir de se rétablir, dans un esprit qui est porté par la culture ambiante du soin de soi.

4. Le renouvellement du rôle des parents et aidants

La famille est en première ligne face à l’épreuve de la maladie. Après avoir été considérée comme coupable, elle est de plus en plus impliquée comme ressource, et développe des initiatives dans ce sens.


[1] Un homme d’exception (2001) (A Beautiful Mind) réalisé par Ron Howard.