Vie sociale

« On a tous la capacité de sauver une vie »

En 2012, Tina Blaise et son mari perdent leur fils, victime de mort subite. Ensemble, ils se lancent dans un projet qui devient une mission de vie : celui d’une association. Dans une admirable logique de résilience, ensemble, ils bâtissent Global Heart Watch. L’objectif :
Informer et sensibiliser le grand public pour que les gens sachent comment agir.

Tina, quelle est la genèse de votre association ?

À l’origine de Global Heart Watch, il y a mon beau-fils Pierre, fils aîné de mon mari. Il est décédé brutalement en juin 2012 à l’âge de 31 ans.
C’était un garçon en pleine santé qui menait une vie saine et était très sportif. C’est à l’occasion d’une course de 10 km au profit de l’Association Emmaüs qu’il s’est écroulé à quelques mètres de l’arrivée. Il a été pris en charge, mais son cœur n’est jamais reparti. Nous avons ressenti une peine immense, de l’incompréhension, puis de la colère.

Une mort dite « naturelle » à un âge si jeune ne nous paraissait pas envisageable ! On parlait souvent de la mort subite des nourrissons, mais pas de la mort subite des adultes.

Pourtant 40 000 personnes chaque année en France en sont victimes et décèdent d’un arrêt cardiaque. C’est beaucoup plus que les accidents de la route. Je me suis dit que je n’aurai sans doute pas su quoi faire si j’avais été présente ce jour-là et rapidement, l’idée d’agir pour sensibiliser aux gestes qui peuvent sauver une vie face à un arrêt cardiaque s’est imposée.

Comment vous y êtes-vous pris ?

Comme je ne dormais pas dans les jours qui ont suivi ce drame, j’ai consulté beaucoup de sites internet pour essayer de comprendre…
J’ai pris conscience qu’il fallait faire quelque chose pour que le nombre de victimes diminue. Avec mon mari, nous avons donc choisi de créer une association.

Nous avions chacun des compétences pour monter une telle structure, mon mari ayant été directeur général d’entreprises et moi-même avec 25 ans d’expérience dans des fonctions de management y compris à la Fondation des Apprentis d’Auteuil. Afin de cibler précisément nos actions, nous avons rencontré le Pr Jouven, cardiologue de renom et Directeur du Centre d’Expertise de la Mort Subite à l’hôpital Georges-Pompidou à Paris, et en 2013, nous avons lancé notre association afin de sensibiliser le grand public aux gestes qui peuvent sauver une vie face à un arrêt cardiaque et soutenir la recherche scientifique. En effet, les témoins ne savent pas comment réagir face à un arrêt cardiaque, alors que si on agit dans les premières minutes, les chances de sauver une vie augmentent considérablement.

Il s’agit donc aussi d’apprendre à alerter ?

Oui c’est la première chose à faire, puis masser et défibriller. C’est le témoin qui va donner le maximum de chance à la personne de survivre en bonne santé. Or quand on est stressé par la situation à laquelle on assiste, on a tendance à être perdu. On a du mal à réfléchir face à la panique. Être sensibilisé permet d’avoir la capacité d’agir immédiatement en prenant du recul.

Alerter : en composant le 15 ou le 112, effectuer un massage cardiaque et apprendre à utiliser un défibrillateur.

Nous sensibilisons tous les publics, jeunes, adultes, les enfants dans les écoles, dans les stades, jeunes éloignés de l’emploi… Nous sommes aussi présents dans les gares et les aéroports. Grâce au mécénat privé qui nous soutient depuis le début, nous créons des évènements avec des sessions de formation courtes, non certifiantes mais efficaces. Je remercie aussi les bénévoles qui participent à l’animation de ces évènements.

Quels sont les facteurs de risques d’un arrêt cardiaque ?

Un arrêt cardiaque peut survenir à l’occasion d’un effort, ce qui peut révéler une pathologie non connue auparavant. On ne sait pas prédire une mort subite chez un sportif d’où l’importance de pratiquer rapidement les gestes qui sauvent. 50 à 60 % des sportifs sont réanimés aujourd’hui parce que les témoins sont formés.
Plus globalement tous les experts s’accordent sur les facteurs de risques : tabac, sédentarité, stress, mauvaise nutrition, hypertension artérielle, hypercholestérolémie, diabète…

Les hommes et les femmes sont-ils égaux face au risque ?

Les femmes sont de plus en plus concernées, et le nombre des victimes plus jeunes est en augmentation. Elles vivent à un rythme de plus en plus effréné depuis plusieurs décennies, fument, sont exposées à des changements hormonaux et à des risques psychosociaux.

Elles ont tendance à être moins résistantes au stress que les hommes, contrairement à ce qu’on peut penser. Elles ont aussi tendance à ne pas s’écouter et ne mettent pas la douleur thoracique au premier plan.

Il y a un manque d’information sur l’arrêt cardiaque chez les femmes, les appels aux secours se font plus tard, la prise en charge est retardée. Les symptômes de l’arrêt cardiaque peuvent être à tort assimilés à une crise d’angoisse ou à de la fatigue. C’est un sujet de santé publique qui mérite que les médias s’y intéressent.

En matière de secourisme, la France est-elle en retard par rapport à d’autres pays ?

Ce qui est certain, c’est qu’au Nord de l’Europe ou aux États-Unis, les taux de survie sont beaucoup plus importants (de l’ordre de 50 % versus 7 % chez nous), parce que les témoins savent quoi faire. En Allemagne, 80 % de la population est formée aux gestes qui sauvent contre 40 % en France.

Vous menez également des actions, notamment pour récolter des fonds pour la recherche scientifique.

Oui, c’est très important parce que nous voulons promouvoir des projets de recherche sur la mort subite en particulier et sur le cœur. Nous avons versé 1 250 000 € en 10 ans pour soutenir plusieurs projets de recherche sur la prédiction de la mort subite, notamment grâce à l’intelligence artificielle. Nous espérons ainsi que dans quelques années il sera possible de prédire qui est en risque de faire une mort subite. Nous avons créé deux centres à Paris et à Sophia Antipolis (06) pour réunir mécènes, familles, corps médical, élus locaux et partenaires.
Nous avons aussi contribué à une loi sur la mort subite, publiée en 2020, avec notamment l’objectif de sensibiliser dès le plus jeune âge. Le statut de citoyen sauveteur a été créé et c’est une satisfaction car beaucoup de gens n’osaient pas agir par peur de faire mal à la victime. Le fait que la personne ayant porté secours ne puisse pas être poursuivie est une avancée. Tout comme l’aggravation des peines en cas de destruction des défibrillateurs sur la voie publique.

Aujourd’hui, le secourisme entre dans les logiques RSE des entreprises. C’est un réel progrès…

Oui. Nous avons œuvré pour que cette cause entre dans la politique RSE des entreprises.
Cela permet de contribuer aux politiques de prévention santé des salariés et parties prenantes.

Votre association existe depuis 11 ans. Quel est votre bilan ?

Notre objectif était de sensibiliser 100 000 personnes en une décennie. Il est atteint, puisqu’à date, plus de 115 000 personnes ont été formées aux gestes qui peuvent sauver une vie. Nous avons été informés qu’un jeune de 24 ans avait été sauvé grâce à du matériel que nous avions offert. J’étais aussi très satisfaite d’apprendre que deux jeunes filles en difficulté socio-professionnelle que nous avions sensibilisées lors d’un évènement, ont décidé de devenir aides-soignantes. Comme nous, elles ont trouvé leur mission de vie !

M-FR-00012316-1.0 – Établi en septembre 2024

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