Une suggestion thérapeutique apportant distractions, sentiments de sécurité, de plaisir ou de détente : voilà ce qu’est la réalité virtuelle en matière de prise en charge de la douleur. Perspectives, textures, couleurs et ambiances sonores… Une fois le casque enfilé, tout suggère l’apaisement et le confort. Complément aux solutions médicamenteuses, la crédibilité de la réalité virtuelle dans la prise en compte de la douleur ne cesse de se renforcer. En France, même si sa généralisation n’est pas pour demain, plus d’une centaine d’établissements de soins recourent régulièrement à cette cyberthérapie non invasive.
Une forêt enchantée et luxuriante, un monde sous-marin envoûtant, le système solaire et son immensité silencieuse… En mode contemplatif ou en mode interactif : à chacun sa destination de prédilection et son état d’esprit au moment de quitter la réalité pour rejoindre le virtuel. La perte de repères est quasi-immédiate. L’évasion est quant à elle garantie et instantanée. Cette solution supplémentaire à disposition des professionnels de santé leur permet de soulager l’anxiété et la souffrance de leurs patients. « Le parcours des personnes atteintes d’un cancer est souvent jalonné de prises de médicaments, de chirurgie, de radiothérapie. Le recours à la réalité virtuelle ne remplace pas ces interventions nécessaires mais représente une autre voie ou plutôt un facilitateur de la thérapie », indique le Dr Abesse Ahmeidi, chef du département d’anesthésie-réanimation-douleur au Centre de lutte contre le cancer Oscar-Lambret, à Lille. C’est là tout l’enjeu de la réalité virtuelle dans le cadre de l’offre sanitaire : transformer un moment redouté, douloureux en un épisode relaxant et efficace cliniquement… Et visiblement, ça marche. Il ne s’agit pas d’utiliser les nouvelles technologies juste pour innover. Les outils de réalité virtuelle sont des dispositifs médicaux à part entière, avec des normes au niveau européen à respecter », insiste le Dr Ahmeidi.
L’immersion sensorielle : l’échappée belle
En 2018, une étude menée sur 120 patients (présentant une douleur modérée à sévère) par des chercheurs du Cedars-Sinai Medical Center de Los Angeles a révélé des baisses sensibles du score de douleur chez les patients équipés de casques de réalité virtuelle. Elle n’est assurément pas la seule. Une autre étude portant sur 9 patients âgés de 20 à 38 ans a comparé la simulation par la réalité virtuelle à la prise d’analgésiques opioïdes lors d’un stimulus thermique douloureux. Les résultats ont été mesurés via le signalement subjectif de la douleur et de l’imagerie par résonance magnétique (IRM) fonctionnelle. La réalité virtuelle et les médicaments ont obtenu des résultats très semblables sur le plan de la réduction de la douleur. Il a, par ailleurs, été démontré qu’une combinaison d’opioïdes et de réalité virtuelle se traduisait par une réduction significativement plus importante de la douleur. Au total, quelque 2 000 articles publiés* dans différentes revues scientifiques, à la suite d’essais contrôlés randomisés menés entre 2005 et 2015, en arrivent à la même conclusion et soutiennent l’utilisation de la réalité virtuelle chez les patients hospitalisés en soins médicaux plus ou moins aigus. « Pendant longtemps, la recherche sur la réalité virtuelle chez les patients était axée sur l’amélioration de leur qualité de vie, sur la diminution de l’anxiété. L’intérêt pour la douleur est arrivé dans un second temps. Ceci étant, à l’heure actuelle, les études restent de petite taille et hétérogènes. Nous manquons donc toujours de données pour quantifier de manière exacte l’impact de la réalité virtuelle sur la douleur. » Il est important et nécessaire de continuer à mener des études plus vastes et bien contrôlées pour conforter toute l’efficacité clinique et le rapport coût-efficacité de la réalité virtuelle, même si elle est, à mon sens, une intervention plus que prometteuse avec plusieurs applications potentielles », explique Abesse Ahmeidi.
La réalité virtuelle apparaît donc comme une source d’innovations pour le secteur de la santé. Elle induit aussi un changement dans la façon dont les patients et les médecins reçoivent et dispensent les soins. Autant dire un changement de culture et une évolution des pratiques et du rapport au soin appelés à se faire en douceur comme tout nouveau paradigme.
Détourner l’attention du patient…
En matière de prise en charge de la douleur grâce à la réalité virtuelle, le principe est simple : s’appuyant sur le fait établi par les neurosciences que la douleur procédait de la remontée de signaux envoyés depuis des récepteurs jusqu’au cerveau, les chercheurs ont envisagé une approche dite « court-circuitante ». Une méthode capable de distraire le cerveau par d’autres sollicitations qui enverraient cette fois-ci des messages réduisant ou inhibant la souffrance. Cette approche postule que les patients – lancés dans une expérience immersive – s’éloignent progressivement d’autres stimuli, notamment les signaux de douleur de leur corps.
La réalité virtuelle n’interrompt pas les signaux de douleur, mais agit directement et indirectement sur la perception et le signalement de la douleur par l’intermédiaire de l’attention, de l’émotion, de la concentration, de la mémoire et d’autres sens », avance le médecin lillois.
D’abord imaginée pour soulager des patients souffrant de maladies chroniques et des douleurs associées, la réalité virtuelle a progressivement intégré le champ de la médecine aiguë et des interventions contraignantes (dé-luxation d’épaule, ponctions lombaires, sutures, pose de sonde urinaire, séances de chimiothérapie etc.). Patients comme professionnels insistent sur l’efficacité de cette alternative à la sédation ou l’analgésie médicamenteuse. « Le temps du soin est, par définition, un moment angoissant pour tout le monde. Le bénéfice de la thérapie virtuelle se situe à plusieurs niveaux, à commencer par l’acceptation en amont du soin. Par la suite, l’expérience de l’acte de soin devient une expérience plus agréable pour le patient et moins compliquée à mener pour le professionnel de santé », indique le docteur Ahmeidi. Pourtant, efficacité ne signifie pas généralisation à l’échelle du territoire. Pour preuve, en France, seules une centaine de structures de soins font régulièrement appel à la réalité virtuelle contre la douleur en routine. Il faut dire que l’achat de l’ordinateur et du casque reste à la charge complète de l’utilisateur. Résultat : l’inclusion de la réalité virtuelle dans une structure demeure tributaire non seulement d’une politique institutionnelle d’investissement mais aussi et surtout d’une dynamique portée par les professionnels de santé y officiant.
Voilà pourquoi l’ambition des chercheurs et autres industriels est, désormais, de démocratiser la pratique en offrant la capacité à chaque structure de soins de proposer la méthode à ses patients, quels que soient la pathologie, l’âge, ou encore le soin programmé… Rappelons que la lutte contre la douleur est une priorité de santé publique en France depuis 2004 !
*Études identifiées grâce aux bases de données PsycINFO, PubMed et Medline avec pour mots-clés : réalité virtuelle, thérapie VR, traitement et hospitalisation.
M-FR-00010048-1.0 – Établi en novembre 2023