“Le cancer m’a volé une partie de ma jeunesse”

Cancers
“Le cancer m’a volé une partie de ma jeunesse”

Il y a presque quatre ans, Clémence a été diagnostiquée d’un cancer alors qu’elle n’avait que 15 ans. Une épreuve aussi difficile physiquement que mentalement pour une adolescente en pleine construction. Aujourd’hui, elle a 19 ans. La jeune étudiante revient sur son douloureux parcours.

Comment avez-vous été diagnostiquée ?

A la fin de mon année de seconde, en juin 2014, je sentais une gêne en m’asseyant, comme une petite boule. Je n’y ai pas vraiment prêté attention pensant que c’était passager.

Le temps est passé et je me suis rendu compte que cette boule avait grossi. Durant toutes mes vacances d’été, je n’étais pas à l’aise avec ce corps étranger qui se développait au point de ne plus pouvoir aller aux toilettes ni de pouvoir m’assoir. Je ne m’en suis ouverte à personne jusqu’au moment où deux autres grosseurs sont apparues au niveau de chaque aine. Je me suis alors dit qu’il fallait que j’en parle à ma mère, qui m’a emmenée chez mon médecin traitant. Il était très étonné et m’a demandé si quelque chose d’autre était apparu. J’ai dû évoquer la première boule. Quatre jours plus tard, j’ai été envoyée dans une clinique pour tenter de me faire retirer ces excroissances qui semblaient, à première vue, provenir d’une infection. J’étais sur le point de me faire opérer mais les médecins ont réalisé qu’il ne n’agissait pas de cela. J’ai été transférée au CHU pour enfant le plus près de chez moi.

Après une opération, plusieurs examens et quatre jours à l’hôpital, on m’a annoncé que j’étais atteinte d’un cancer et plus exactement d’un rhabdomyosarcome (le type le plus courant de sarcome des tissus mous infantiles). J’avais 15 ans. C’était un samedi. Ma première chimio a eu lieu deux jours après.

On parle souvent des cancers à l’âge adulte qui impactent la vie professionnelle. Comment avez-vous fait pour le lycée ?

C’était hors de question de redoubler. Au delà du retard scolaire, perdre une année impliquait de ne plus être avec mes amis et c’était inimaginable. La SAPAD (un service d’assistance pédagogique à domicile) m’a permis de suivre des cours. J’ai fait du français, de l’anglais, de l’italien, de l’allemand etc. Mes parents sont profs, ce qui m’a beaucoup aidé. Mon père me donnait des cours de physique-chimie et ils ont sollicité certains de leurs collègues pour du soutien. Toutefois, les cours n’étaient pas aussi complets que ceux que j’aurais dû suivre au lycée.

Qu’est ce que cela signifiait pour toi de passer les épreuves de bac de français et science en sessions de rattrapages sans avoir à redoubler ?

Une année auparavant mes épreuves anticipées du bac, j’étais dans ma chambre d’hôpital, privée de lycée et dans un état physique dans lequel je ne pensais jamais être un jour. Surtout pas à 15 ans. Alors, après une année d’hospitalisation sans pouvoir suivre les mêmes cours que les autres lycéens, cela a été une grande fierté de me dire « ça y est, j’y suis ». Je pense que j’étais la plus heureuse dans la salle.

Qu’est ce que cette maladie a eu comme conséquences sur votre vie personnelle ?

Tout d’abord, ça m’a fait prendre conscience du soutien sans faille de ma famille. Les liens avec mes parents se sont renforcés. Notre relation a changé. J’ai également réalisé que les vrais amis étaient très rares.

Malheureusement, j’ai aussi développé des peurs que je n’avais pas auparavant, comme le fait de retomber malade. Je suis angoissée à l’idée de penser que je n’ai pas grandi comme il aurait fallu. Si je n’avais pas eu de cancer, je pense qu’aujourd’hui, je ne serais pas la même personne. Je n’aurais absolument pas évolué de la même manière. Ma vie avant ce cancer me paraît très lointaine voire floue. Il est difficile pour moi de me dire qu’un jour j’ai été une jeune fille en bonne santé parce qu’aujourd’hui encore je subis les conséquences du traitement.

La maladie a-t-elle eu un impact sur la personne que vous êtes aujourd’hui ?

Ce cancer m’a donné une force intérieure qui m’a permis de me dépasser et d’avoir des ambitions importantes, qu’elles soient professionnelles ou personnelles. J’ai également l’impression de faire beaucoup plus attention aux autres qu’auparavant. Je ne permets plus de juger quelqu’un que je ne connais pas et je ne reste jamais sur une première impression. On dit souvent qu’après une telle épreuve on devient plus mature. Je n’ai que 19 ans, j’ai encore beaucoup à apprendre mais je trouve que cette épreuve rend plus conscient. Il m’arrive de craquer ou de m’énerver pour des choses futiles, mais ces états d’âme s’estomperont sûrement avec le temps. Je les vois comme des cicatrices. A deux ans et demi de la fin de traitement je suis encore trop proche moralement de cette histoire. Il y a encore plein de choses sur lesquelles je dois travailler mais j’ai confiance en l’avenir.

Vous avez eu ce cancer en pleine adolescence donc pleine période de construction. Comment est-ce que cela impacte le regard sur son corps ?

Durant le traitement, j’ai perdu environ 9 kilos ainsi que mes cheveux, mes cils et mes sourcils. J’avais un teint blanchâtre et maladif mais je préférais en rire. Bizarrement, j’ai très vite accepté mon physique. Ce n’était pas le plus important, d’autant que je me dessinais des sourcils, je mettais du rouge à lèvres et je portais souvent un joli foulard violet. J’ai aussi dû vivre avec une poche de colostomie pendant 6 mois. Ce genre de chose force à s’approprier son nouveau corps, transformé par la maladie. mais on sait que c’est temporaire. Cette épreuve a eu bien plus d’impact sur mon mental.

Je suis en colère contre mon corps dans le sens où il a développé ce cancer tout seul. La tumeur n’a pas été engendrée ni par l’extérieur, ni par l’héréditarité.

Les adolescents sont souvent méchants, peu compréhensifs voire totalement intolérants. Avez-vous fait les frais de réactions négatives ?

Heureusement, je n’ai pas eu à faire à ce genre de comportements. Je pense que les gens étaient contrariés de me savoir malade. Toutefois, je pense que mon cancer s’est déclaré à cause de ce que m’ont fait vivre des camarades de classe une année plus tôt. J’aurais préféré que ces personnes se fassent toutes petites au lieu d’éprouver de la peine parce que je les considérais en partie responsables.

Au contraire, est-ce que certaines réactions/actions vous ont particulièrement touchée ?

Oui beaucoup ! Ma meilleure amie s’est coupée les cheveux. Ainsi, quand les miens ont commencé à repousser, je n’étais pas la seule à les avoir très courts. Les collègues de mon père se sont cotisés pour m’acheter une tablette pour que je puisse m’occuper à l’hôpital et ceux de ma mère ont lancé une cagnotte pour que, une fois guérie, je puisse réaliser mon rêve d’aller à New York. Enfin des correspondants allemands que j’avais rencontrés au collège m’ont envoyé des mots adorables.

Vous partez à Bologne en Erasmus, qu’est-ce que cette année représente pour vous ?

Cette année à l’étranger j’en ai toujours rêvé. Le fait de ne pas pouvoir voyager pendant mon traitement m’a donné encore plus envie de bouger. Je pense que je mérite de partir dans le sens où la maladie m’a volé une année.

Je prends cela comme une nouvelle étape de ma vie, un nouveau challenge. Je veux me prouver que je peux me débrouiller seule, gérer mes peurs sans l’aide de personne.

Est-ce que vous aimeriez vous engager, peut-être plus tard, dans des associations qui aident les enfants et adolescents à mieux vivre l’épreuve du cancer ?

Plus tard peut-être, j’aimerais pouvoir aider. Pour l’instant, c’est trop tôt. J’ai encore besoin de prendre du recul car je ne pense pas être entièrement guérie. Il y a toujours un petit “reste” de ma maladie qui reste coincé dans ma tête. Cependant, j’essaie d’aider à mon échelle. Par exemple, j’ai donné ma perruque à une jeune fille qui n’avait pas les moyens de s’en payer une (cela coûte entre 500 et 1000 euros) et j’ai échangé avec un autre jeune de mon ancien lycée, atteint lui aussi de cancer. Si on venait me chercher pour me demander de l’aide, je l’apporterais avec grand plaisir.