Dans son livre “L’ Année du déclic”, la journaliste Charlotte Savreux a choisi de donner la parole à des personnalités, qui racontent leurs parcours. Des témoignages inspirants émanant de personnes qui ont toutes, à un moment de leurs vies, traversé des épreuves. Elle partage avec nous les leçons de vie qu’elles en ont tirées.
Certaines des personnalités que vous avez interviewées ont été touchées par la maladie. Comment ont-elle fait face ?
On connaît souvent le versant sud de leurs vies, plein de lumière et de paillettes. Moins le versant nord. Pourtant, c’est souvent ce dernier qui leur a permis d’être encore plus fortes. Patrick Poivre d’Arvor, Maud Fontenoy, Véronique Jannot… et bien d’autres personnalités ont été confrontées à la maladie. Le grain de sable qui vient soudainement gripper la mécanique. Après l’électrochoc, le déni, la colère, beaucoup constatent que leur convalescence a été un tremplin pour rebondir plus forts, plus déterminés. La maladie a été en quelque sorte la « secousse sismique », qui leur a permis de se réveiller, de se révéler et de s’élever. Elle a été pour eux une façon de remettre à l’endroit ce qui était à l’envers. Pour cela, mieux vaut s’en faire une alliée qu’une ennemie.
Pourquoi avoir choisi de dresser le portrait de personnalités ?
Je crois beaucoup à la dynamique vertueuse de la « contagiosité », laquelle est source d’inspiration. Les retours sur expérience parlent toujours au cœur, à fortiori quand il s’agit de visages connus, alors que les règles, elles, parlent au mental. De plus, on imagine toujours que c’est plus facile pour les autres. En réalité, que l’on soit connu ou pas, nous sommes tous à l’école de la vie, laquelle est une salle de classe au sein de laquelle on apprend tous les jours. Ce sont d’ailleurs les moments les plus inconfortables de notre existence qui nous font souvent le plus grandir. Quand la vie nous envoie une épreuve, il y a toujours un formidable apprentissage à la clef, un cadeau, comme celui de se connecter davantage à la personne que nous sommes.
A condition de ne pas être en résistance… ?
Oui. La première option est de se raccrocher aux branches du passé, mais on s’épuise. Ce qui nous met en résistance nous met souffrance. Philippe Croizon, que j’ai interviewé dans mon livre, a été amputé des quatre membres. Il a mis 14 ans à faire le deuil de sa vie d’avant. Néanmoins, quand on lui demande aujourd’hui s’il avait le choix de récupérer ses bras et ses jambes, il assure qu’il adore sa vie actuelle car il n’a jamais été aussi acteur de sa vie qu’aujourd’hui. L’alternative à la résistance, c’est d’accueillir la vie dans toutes ses nuances, et d’oser pagayer dans le sens du courant de la vie.
Vous voulez dire que rien n’est figé ?
Jean d’Ormesson écrivait que « la vie est à la fois une vallée de roses et une vallée de larmes ». C’est à ce moment là qu’il faut déployer son talent et sa puissance de vie pour aller chercher le geyser au coeur du désert. « C’est au cœur de l’hiver que j’ai découvert que j’avais en moi un invincible été », nous souffle de son côté Albert Camus. Nous avons tous la capacité de déployer nos ailes pour aller décrocher la victoire sur la maladie. Les seules limites sont celles que l’on se donne.
Le regard porté sur la maladie a-t-il selon vous un impact sur la rémission ?
J’en suis convaincue. Pour autant, il faut sortir des injonctions. Certaines personnes ont besoin de plus de temps que d’autres, et ce n’est pas un problème. La guérison est l’autorisation que l’on se donne. Avec ou sans nous, la vie continue. Autant que ce soit avec nous ! On me dit parfois : « Oui mais vous savez la vie est dure ». Je réponds alors que la vie est une aventure ! Et qu’il faut en être digne. Oui ! Le bonheur et la vie demandent du courage !
Persévérance, confiance, patience : comment favoriser le déclic vers ce tryptique gagnant ?
Nous sommes dans une société où nous voulons tout, et de manière immédiate. Ma recommandation, c’est de tenter de changer d’angle de vue. Un célèbre maître de kendo (un art martial japonais) avait choisi comme animal fétiche une libellule. Ce choix avait beaucoup surpris, car elle évoque plutôt la fragilité. Il avait objecté qu’elle a la particularité de ne jamais renoncer face à la difficulté. La libellule change d’axe cognitif, haut, bas, gauche, droite, mais ne recule jamais !
Finalement, c’est un appel à être davantage acteur de sa guérison ?
Absolument. C’est de notre corps dont il est question. Le regard posé sur un traitement nous permettra de mieux l’accueillir. Je me méfie de la notion d’espérance, souvent synonyme d’infantilisation, puisqu’elle induit que les choses dépendent de l’extérieur. Or il faut avoir l’ambition de décrocher sa propre victoire. La blouse blanche, c’est bien, mais elle n’est pas grand chose sans la volonté de s’en sortir.
Avez-vous le sentiment que le « sursaut de convalescence » – comme vous le décrivez – est plus facile pour certaines personnes que pour d’autres ?
Dès lors que l’on se compare aux autres, on est toujours perdant. A chacun d’inventer son propre modèle. Il faut arrêter avec les « il faut, on doit, y a qu’à… » Toutefois, plutôt que se dire : « la vie m’en veut », mieux vaut se dire « et si la vie me faisait un cadeau ? » Il y a toujours un cadeau derrière l’épreuve, quelque chose d’extraordinaire à extraire d’une situation de vie même inconfortable comme l’est la maladie. Clara Gaymard, que j’ai également rencontrée dans le cadre de mon livre, m’a raconté qu’enfant, elle devait tous les jours passé dans un champ d’orties. Comme elle avait peur, elle tombait systématiquement dedans. Jusqu’à ce que son père lui suggère d’arrêter de regarder l’obstacle, sinon il devient l’objectif.
D’autant que l’obstacle est transitoire…
Oui, c’est une phase de vie pendant laquelle on peut avoir le sentiment d’une « mise en suspens », mais qui n’hypothèque pas l’avenir !