Ancienne Ministre de la famille, Dominique Bertinotti nous fait part de son vécu personnel du cancer. Et témoigne du chemin qu’il reste à parcourir pour que les patients qui souhaitent continuer à travailler puissent le faire sereinement.
Madame la Ministre, selon vous, peut-on continuer à travailler pendant son cancer ?
Il n’y a pas de réponse unique à cette question. Tout dépend du poste que l’on occupe, de son niveau de responsabilité et de sa capacité à organiser son travail différemment. La qualité du dialogue social dans l’entreprise entre aussi en ligne de compte. Il faut savoir qu’il y a forcément des jours où l’on se sent moins bien. Toutefois, le souhait des patients doit être pris en considération.
S’ils souhaitent continuer à travailler, et que leur oncologue ne s’y oppose pas, il est sain qu’ils puissent le faire.
J’ai échangé par le passé avec une institutrice de 35 ans qui était dans ce cas, mais avait demandé un poste de documentaliste pendant quelques mois, car la position debout face aux élèves lui était difficile. Elle n’a malheureusement pas obtenu gain de cause. C’est dommage. De même, un homme m’avait alerté sur le fait qu’il effectuait ses soins sur ses jours de RTT. Garder les salariés en aménageant leur temps de travail devrait être un objectif des employeurs quels qu’ils soient. Toutefois, nous sommes dans une société de la performance où l’on n’a pas le droit d’être malade.
Vous plaidez donc pour une grande flexibilité en termes d’organisation du travail ?
Absolument. Aujourd’hui, ce n’est malheureusement pas une question centrale pour une majorité des directions des ressources humaines, même si certains environnements sont plus humains que d’autres.
L’entreprise a du mal à comprendre que malgré la maladie, on est toujours apte à travailler. Mais apte différemment.
J’établis des parallèles, toutes proportions gardées, avec la reconnaissance de la parentalité en entreprise, pour laquelle j’ai beaucoup œuvré. Je pense, là aussi, que les choses vont évoluer. En effet, de la même façon que l’on doit pouvoir travailler tout en ne sacrifiant pas l’éducation de ses enfants, on doit pouvoir travailler avec sa maladie. Tout est question d’aménagements et donc d’état d’esprit. C’est dans l’intérêt des entreprises d’agir ainsi, afin de fidéliser leurs équipes. Pour cela, elles doivent prendre la personne dans sa globalité. La maladie fait partie de la vie !
Avez-vous des pistes pour faire bouger les lignes ?
Tant que le mot « cancer » aura des connotations mortifères, on aura du mal à se faire entendre. Je crois beaucoup en la mobilisation des patients. Quand les entreprises ressentent des pressions, elles finissent par faire évoluer leur organisation. J’insiste sur le fait que travailler ou retravailler n’est en aucun cas une négation du fait qu’on est malade. De plus, les enjeux ne sont pas que philosophiques, ils sont aussi économiques et financiers, car le changement de regard que j’appelle de mes vœux aurait pour vertu de coûter moins cher à la société. Tout cela demandera du temps, mais je reste très optimiste.
Une fois le diagnostic réalisé, faut-il, selon vous, parler de son cancer dans son entourage professionnel ?
Pour ma part, j’ai choisi de ne pas le faire tant que je n’étais pas guérie. Je ne souhaitais pas lire la commisération dans le regard des autres, sachant que c’est déjà suffisamment difficile de concilier sa maladie avec l’exercice d’une activité professionnelle. Mon silence a été une façon de m’aider moi même.
Le fait d’aller travailler me permettait de prendre de la distance par rapport à la maladie. Je reprenais mon « statut de malade » en rentrant chez moi le soir.
Ce n’est qu’une fois sortie d’affaire que j’ai communiqué sur mon cancer, car à partir de ce moment là, j’avais de nouveau la maîtrise. Force est de reconnaître qu’il y a encore beaucoup de tabous sur le cancer. C’est un mot terrible, avec des connotations terribles, même si aujourd’hui, grâce aux progrès scientifiques, ce n’est plus une fatalité.
Ca ne doit pas être évident de « donner le change » quand on est malade et qu’on souhaite que les gens ne le sachent pas…
Quand je suis entrée à l’hôpital, je me sentais très bien. Puis le diagnostic est tombé. On bascule dans la maladie de manière extrêmement brutale. Le choix d’une perruque est une étape très rude. Et puis il y a la fatigue. Une fatigue assommante. Tout prend plus de temps (le fait de se maquiller par exemple). La maladie ne se fait pas oublier. Toutefois, j’ai perçu comme une aide le fait de continuer à travailler et précisément, de ne pas m’apesantir sur ce que je traversais.
Etes-vous consciente d’être très courageuse ?
Je pense que la maladie rend humble et modeste. Sachant que ma propre mère avait été touchée par un cancer, et que pour ma part, je déteste parler de la maladie et de la mort, j’aurai pu tomber dans une angoisse totale. Pourtant j’ai eu envie de me battre. Je ne me suis pas écroulée car je savais que j’avais un combat à mener.
On ne sait jamais à l’avance comment on va supporter tout ça, ni sur le plan physique, ni sur le plan moral. J’ai vu des gens très forts s’effondrer. Le rapport à la maladie est quelque chose d’éminemment personnel.