L’exposition aux perturbateurs endocriniens : un nouveau facteur de risque de cancer du sein

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L’exposition aux perturbateurs endocriniens : un nouveau facteur de risque de cancer du sein

Les perturbateurs endocriniens présents dans l’environnement constituent-ils un facteur de risque de cancer du sein ? Pour le Pr Patrick Fénichel, gynécologue-endocrinologue au CHU de Nice, la réponse ne fait aucun doute. Une certitude scientifique qui devrait inciter à des attitudes préventives.

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Pr Patrick Fénichel

Est-ce exagéré de penser que les perturbateurs endocriniens environnementaux sont « partout » (dans l’air, les aliments, les produits cosmétiques…) ?

Non, c’est la réalité. Il existe, en effet, trois voies d’exposition aux perturbateurs endocriniens environnementaux : la voie alimentaire, la voie aérienne et la voie percutanée à travers les cosmétiques, les solvants, les savons, les déodorants, les parfums…

Pour autant, la voie alimentaire reste la voie privilégiée. Cela a été confirmé par plusieurs études réalisées à partir du sang du cordon ombilical.

La femme enceinte exposée aux perturbateurs endocriniens va aussi voir son fœtus exposé via la circulation sanguine ombilicale et le placenta.

Si les cancers du sein sont d’origine multifactorielle, comment faire le distinguo entre les cancers dus à une exposition aux perturbateurs endocriniens et les cancers dus à d’autres facteurs ?

10 % seulement des cancers du sein sont d’origine génétique. Ils sont alors principalement corrélés à une mutation du gène BRCA1, le gène de susceptibilité au cancer du sein. En conséquence, 90 % des cancers du sein ne sont pas directement associés à une mutation du gène BRCA1. Les chercheurs ont, malgré tout, noté qu’une grande partie des femmes victimes d’un cancer du sein souffraient d’une diminution sensible de l’expression du gène suppresseur BRCA1. En y regardant de plus près, ils ont observé que même si le gène BRCA1 n’était pas muté, il pouvait voir son habillage modifié. Ces modifications de l’habillage du gène sont à l’origine d’une diminution de son expression sur les cellules tumorales.

Comment identifier le type de perturbateurs endocriniens responsables de l’apparition de cellules cancéreuses ?

Grâce aux travaux épidémiologiques. Même si ce sont des travaux compliqués à mener car ils s’effectuent sur de très longues périodes. A titre d’exemple, des chercheurs américains ont étudié une banque de sang de femmes enceintes constituée il y a 50 ans. Ils ont ainsi dosé dans ce sang le DDT, pesticide organochloré fortement oestrogénique, aujourd’hui interdit en France. Les épidémiologistes ont parallèlement suivi, pendant 50 ans, les enfants filles de ces femmes.

Ils se sont aperçus que les mères dont les taux sanguins de DDT et de PCB (polychlorobiphényles) étaient les plus élevés avaient donné naissance à des filles qui présentaient, à 40-50 ans, 3 à 4 fois plus de cancers du sein que les filles dont les mères avaient des taux sanguins de DDT et PCB relativement bas.

Bien entendu, pour éviter les biais, les chercheurs ont pris en compte, pour les deux groupes, les facteurs confondants comme le poids, le tabac, le nombre d’enfants, l’âge de la puberté… Pour ma part, j’ai initié le même type d’étude à Nice. Pour l’heure, je ne dispose que de 15 années de recul, mais le travail est en cours.

Au vu des facteurs évoqués précédemment, il est donc interdit d’affirmer que les cancers hormono-dépendants sont toujours causés par des perturbateurs endocriniens ?

Une telle affirmation serait fausse et inconcevable. Je rappelle que les cancers hormono-dépendants sont des cancers multifactoriels. C’est pourquoi, je présente l’exposition aux polluants chimiques à activité de perturbateurs endocriniens comme un nouveau facteur de risque de cancer du sein, qui vient s’ajouter à d’autres facteurs aujourd’hui indiscutables comme le tabac, l’âge de la première grossesse, le poids…. Il est à noter que l’obésité est un facteur de récidive très clair pour les femmes qui ont déjà eu à souffrir d’un cancer du sein.

Face à l’existence de perturbateurs endocriniens comme facteurs de risque, quelles bonnes pratiques adopter afin de prévenir l’apparition du cancer du sein ?

L’exposition aux perturbateurs endocriniens constitue un facteur de risque critique, notamment à certaines périodes de la vie (le développement fœtal, la puberté et la grossesse). Il est donc important, dans le cadre d’une prévention primaire, que les médecins généralistes et les gynécologues puissent proposer aux femmes de prendre des précautions pour ne pas s’exposer durant ces périodes.

Les femmes, déjà victimes d’un cancer du sein, doivent également réduire leur exposition, même si l’influence des perturbateurs endocriniens n’a pas encore été démontrée dans les cas de récidive.

Parmi les précautions simples, il convient, par exemple, de ne pas chauffer les aliments dans des récipients en plastique, d’étudier la composition des cosmétiques utilisés…

Il est également préférable de ne pas traiter ses espaces verts avec des pesticides et d’éviter toutes les zones à risque que sont les sites industriels ou certains espaces agricoles. On sait aussi que les poissons gras très volumineux peuvent avoir accumulé dans leurs organismes des polluants lipophiles et il faut donc les consommer avec modération pendant la grossesse.

Pensez-vous pertinent d’envisager des actions de lobbying à destination des décideurs publics et des industriels ?

Une chose est sûre : la question de l’augmentation des cancers du sein ces dernières décennies doit être posée. En parler, c’est déjà reconnaître que cette augmentation est anormale et qu’il convient de l’enrayer.

Il revient aux décideurs publics de soutenir les travaux épidémiologiques qui essaient de répondre à cette question et d’identifier les causes de cette augmentation pour au final, apporter des solutions efficaces.

De plus, pendant trop longtemps, les demandes de financements des épidémiologistes recevaient une fin de non-recevoir, les pouvoirs publics concentrant exclusivement les investissements sur les traitements de chimiothérapie. Quant aux industriels, il est difficile de les influencer car leur action répond avant tout à des logiques économiques. Pour autant, les décideurs publics peuvent légiférer pour minimiser le recours à des polluants chimiques par exemple. Je pense notamment aux pesticides. Espérons qu’ils seront vigilants!

 


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