Parents sourds-muets : la lourde charge mentale d’Elisa

Famille & Aidants
Parents sourds-muets : la lourde charge mentale d’Elisa

Mélissa a deux parents sourds et muets. Si pour sa mère, c’est de naissance, chez son père, c’est une méningite qui est à l’origine de ce handicap. Elle raconte comment on se construit en tant qu’enfant, la richesse que cela représente, mais aussi les difficultés du quotidien.

Elle est aujourd’hui une femme accomplie. Mère de deux enfants, elle occupe un beau poste dans une entreprise d’assurances. Pourtant, ce n’était pas gagné d’avance. Mélissa s’est construite essentiellement seule, même si elle a été tirée vers le haut par des amies et leurs familles. Elle est fière de ce qu’elle a construit, mais revient sur un parcours difficile.

Une enfance particulière

« Enfant, je ne voulais pas communiquer en public sur leur handicap. Quand mes parents venaient me chercher à l’école, je me faisais toute petite. J’avais du mal à assumer leur handicap, vis-à-vis des autres élèves. Ils n’ont jamais pu rencontrer mes enseignants. Aujourd’hui, j’ai honte d’avoir eu honte, car ils m’ont tout donné », confesse-t-elle. Couturiers de leur état, ils lui ont procuré beaucoup d’amour et se sont saignés aux quatre veines pour lui permettre d’avoir un parcours scolaire épanoui. Mélissa leur en est infiniment reconnaissante. Travailleuse et énergique, Mélissa a réalisé des études qui lui ont permis de devenir indépendante. Un parcours méritoire puisque déjà quand elle était jeune, elle s’occupait beaucoup de ses parents. « Je jouais le rôle de traductrice. Je pratique la langue des signes depuis mon premier jour. C’est ma langue maternelle. Pour les formalités administratives et autres rendez-vous, je les aidais à se faire comprendre et à remplir des formulaires », raconte la jeune femme. Très jeune, elle a basculé dans le monde adulte, mais elle insiste sur la richesse que cela représente : Nous avons cultivé une autre façon de communiquer. Nous nous regardons beaucoup, là où beaucoup de gens se parlent sans vraiment se voir. Nous sommes très tactiles. Beaucoup dans l’émotion et dans le ressenti ». Dotée d’une intuition hors du commun, elle sait lire sur les visages. Elle a su développer une sorte de sixième sens et une combativité à toute épreuve.

Aidante au quotidien

Mélissa aide aujourd’hui ses parents, notamment son père, qui souffre de problèmes respiratoires. « Depuis que j’ai 8 ans, je joue le rôle d’aidante. Pas toujours facile au quotidien, sachant que je travaille et que je m’occupe de mes enfants. Mais c’est indispensable de le conduire à ses rendez-vous médicaux, chez le cardiologue et ailleurs. Car il ne peut pas se faire comprendre », détaille-t-elle. Pour elle comme pour d’autres aidantes, la charge mentale est lourde. « Il m’arrive souvent d’être épuisée. À bout. Sans parler de l’inquiétude que j’éprouve », témoigne la jeune femme. Récemment son père est tombé. Au milieu de la nuit. Sa maman n’a pas entendu. C’est une voisine qui est venue l’alerter. Pour la sonnette, Mélissa a fait installer un système où les lumières s’allument. Grâce à quoi, sa maman s’est réveillée et a pu l’appeler en pleine nuit. Je me sentais bien impuissante. Voir ses parents vieillir et s’affaiblir n’est jamais simple, mais encore moins quand ils souffrent d’un tel handicap », témoigne-t-elle. En effet, tout prend davantage de proportions. Pour les personnes qui ne parlent pas français, quand il y a la barrière de la langue, c’est déjà difficile, mais quand il n’y a pas de langage du tout, c’est encore plus délicat. Et puis il y a différentes langues des signes. « Nous sommes originaires de Turquie, et avons une façon de communiquer qui n’est pas nécessairement celle qui se pratique ici », précise Mélissa.

M-FR-00012807-1.0 – Établi en novembre 2024