Véritable innovation médicale du XXe siècle, la médecine intensive – réanimation réunit des médecins et des infirmières spécialisés, et fait appel à des dispositifs de soutien et de surveillance sophistiqués pour monitorer et traiter les organes des patients atteints d’affections potentiellement mortelles. Un nouveau projet vise à améliorer l’expérience des familles des patients de réanimation. Son nom : FAME (FAMily Experience in the intensive care unit).
L’ère du COVID-19 a démontré l’importance de la réanimation qui peut sauver la vie des patients atteints de pathologies sévères. Elle a aussi confirmé que des patients hospitalisés et leurs proches allaient moins bien quand ils ne recevaient pas de visite. Toutefois les instigateurs du projet FAME n’ont pas attendu cette pandémie pour s’intéresser à la question. À l’hôpital St Louis de l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris, le professeur Élie Azoulay, chef de l’unité de médecine intensive – réanimation, le docteur Frédéric Pochard, psychiatre, et Nancy Kentish-Barnes, docteur en sociologie, s’intéressent depuis 25 ans aux troubles psychiques des patients hospitalisés en réanimation et de leurs familles.Ils ont fondé le groupe FAMIREA et mené de nombreuses études afin de trouver des solutions pour mieux accompagner le réveil des patients et la prise en charge des proches. »Il faut dire qu’après un coma ou une sédation profonde, le choc peut être brutal au moment où les patients se réveillent. Ils entendent des alarmes, ont du mal à respirer et se demandent ce qu’ils font là. Inquiétude et sidération sont au rendez-vous. Pour les proches, la situation est également difficile, pendant et après le séjour, et ce d’autant qu’il arrive que des discussions de fin de vie s’imposent.
Accompagner les proches
Jusqu’à une date pas si lointaine, seuls les patients étaient pris en charge, mais pas leurs proches. Or, l’admission d’un patient gravement malade dans un service de réanimation est un événement exceptionnellement pénible pour la famille, généralement inattendu et soudain. Il a été montré que les proches (qui représentent environ un million de personnes chaque année en France) développent des niveaux élevés de stress aigu, d’anxiété et de dépression lorsqu’ils sont confrontés à cette situation, ainsi que des émotions extrêmes telles que la peur, la culpabilité, la détresse et l’impuissance. Les membres de la famille éprouvent également des difficultés à comprendre les informations qui leur sont données par l’équipe médicale – seule la moitié des informations est comprise par les proches. Ces difficultés émotionnelles et cognitives peuvent devenir des obstacles dans les processus décisionnels pouvant avoir des conséquences à moyen et long terme sur leur bien-être psychologique, notamment en termes de Trouble de stress post-traumatique (TSPT), d’anxiété et de dépression.
Plusieurs études de FAMIREA ont confirmé l’importance de veiller à la prise en charge du TSPT, dont au moins un tiers des membres de la famille présentent des symptômes graves trois mois après la sortie de réanimation ou le décès du patient. »Avoir un proche en réanimation, c’est en effet très difficile à vivre pour les familles… Les patients sont branchés à des machines inconnues et intimidantes. Parce qu’ils sont sous sédation, ils sont souvent incapables de communiquer. Leur état et leur pronostic peuvent varier d’un jour à l’autre. La crainte d’une issue fatale est au centre des préoccupations.
Mieux comprendre les facteurs de stress post-traumatique
C’est dans ce contexte qu’est né le projet FAME. L’équipe a déposé un projet de recherche hospitalo-universitaire (RHU) à l’Agence Nationale de la Recherche et monté un dossier soutenu par l’Université Paris Cité en 2021. Lauréate, elle a décroché un budget de 29 millions d’euros sur cinq ans (dont 9 millions de l’ANR) pour détecter, prévenir et atténuer la façon dont les membres de la famille sont affectés par le passage d’un proche en service de réanimation, avec comme partenaire industriel GE Healthcare.
À la clé, il s’agit d’améliorer l’expérience des familles de patients en réanimation, de rechercher des facteurs de vulnérabilité génétiques du stress post-traumatique, en collaboration avec des équipes du CNRS, de l’INSERM, et du CEA.
Une première étude, coordonnée par le professeur Jean Régnier, du CHU de Nantes, dans 63 services de réanimation en France, a inclus plus de 1 400 proches dont 350 ont bénéficié de prélèvements sanguins afin d’étudier leurs profils génétiques. Les familles sont interrogées trois et six mois après la sortie du patient afin de déterminer leurs éventuels troubles psychiques, mais aussi mesurer leur consommation de soins.
Grâce à des outils d’intelligence artificielle, les chercheurs espèrent proposer un algorithme prédictif afin d’améliorer la prise en charge. »Cette étude s’est accompagnée de questionnaires pour les soignants de réanimation concernant leur situation de travail (épuisement professionnel), et d’études qualitatives sociologiques pour les familles afin de compléter et mieux comprendre les résultats « chiffrés ».
Dans une seconde étude débutée en 2024, il s’agira de montrer, au-delà de la présence des soignants, l’impact potentiellement positif lié au fait de mieux informer les familles avec des livrets d’accueil et des bandes dessinées qui leur expliquent ce qu’est la réanimation, les informent sur « qui est qui » dans un service, leur proposent un glossaire pour mieux appréhender les techniques et les traitements, les accompagnent et les aident à intervenir s’ils le souhaitent au quotidien. Ces documents ont été élaborés avec des familles partenaires. Il sera également proposé de faire pratiquer des exercices de relaxation à l’aide de casques de réalité virtuelle dans des moments à très haut stress. L’objectif est aussi de proposer une approche très spécifique avec les mêmes outils, adaptés, dans les situations de fin de vie.
Et les soignants ?
Tous ces outils seront à terme disponibles sur une plateforme internet dédiée, avec une ligne d’écoute disponible. Ce dispositif sera ensuite complété par l’envoi de bulletins de santé des patients aux familles, et par un Chatbot (agent conversationnel) disponible en ligne. Pour le moment, ce sont les services de réanimation qui sont concernés par ce pilote, lequel devrait ensuite s’étendre à toutes les autres spécialités (hémato, neuro, cardio…).
L’un des axes de l’étude porte aussi sur les soignants. FAMIREA a mené plusieurs études sur le burn-out, leur charge de travail, leur personnalité, sur leur niveau d’anxiété, de dépression, de stress post-traumatique, mais aussi de résilience. »Autant d’informations qui ont permis de constituer une mine de données. Quelle que soit la cible des études (patients, proches, soignants), il s’agit d’apporter des solutions concrètes et personnalisées.
C’est d’ailleurs ce que l’équipe de FAMIREA avait déjà montré dans deux études, publiées en 2007 et 2022 dans le New England Journal of Medicine et le Lancet. Elle avait testé des stratégies permettant aux médecins et infirmier(e)s de coopérer au sujet de la situation de fin de vie d’un patient avec les membres de sa famille. Le constat : lorsque la communication est centrée sur les familles et que du temps peut leur être consacré pour exprimer leurs préoccupations, les syndromes d’anxiété et de dépression des proches diminuent, tout comme le stress post-traumatique et les symptômes de deuil prolongé. À méditer…
M-FR-00013090-1.0 – Établi en décembre 2024