La santé mentale des soignants, et si on en parlait ?

Hôpital
La santé mentale des soignants, et si on en parlait ?

À l’hôpital, un tiers des soignants souffre de dépression. C’est ce que révèle le troisième volet de l’étude AMADEUS (« AMéliorer l’ADaptation à l’Emploi pour limiter la soUffrance des Soignants »). Entretien avec Guillaume Fond, médecin psychiatre à l’AP-HM, co-auteur de cette étude avec le Dr Guillaume Lucas.

Pourquoi avoir souhaité mener cette étude ?

On parle peu de la santé des soignants, alors que c’est un vrai sujet. Ils ont un métier très prenant, très stressant et ont tendance à négliger leur santé ». La Covid a mis en lumière le sujet du burn-out des soignants qui a certes augmenté durant cette période-là, mais qui existait déjà. S’ils se plaignent, on leur dit qu’ils sont fragiles. Il n’y a pas de remise en question du collectif. Les changements de gouvernance au sein de l’hôpital public ont aggravé la donne, puisqu’ils ont réduit les personnels, avec un non-renouvellement des départs à la retraite. En 2017, nous avons fait notre première étude sur les jeunes médecins et on voyait déjà qu’il y avait des cas de harcèlement professionnel et une grande souffrance. C’est ce qui explique que les médecins quittent l’hôpital public. 10 000 participants ont répondu à notre étude Amadeus sur l’état de santé physique et mentale des soignants.

Et que révèlent les données collectées ?

On a tendance à penser que le mal-être était à son comble pendant la pandémie, mais les chiffres révèlent que la souffrance est bien pire depuis ». À noter, certains hôpitaux se sont opposés à la diffusion de l’étude, de peur de donner une mauvaise image. L’étude, en revanche, était totalement anonyme, afin d’une part que les répondants se sentent libres dans leurs témoignages, et aussi qu’ils ne puissent pas être identifiés. Inutile de dire que les syndicats attendent de pied ferme chaque publication, même si pour notre part, nous souhaitons rester très neutres et purement factuels.

Pourtant les hôpitaux doivent devenir attractifs… ?

Oui c’est important pour recruter, mais jusqu’alors ils n’avaient jamais eu à se poser la question. De ce fait, ils commencent à s’intéresser aux conditions de travail et à la santé de leurs employés.

Comment faire précisément pour que la donne évolue ?

Les chiffres révèlent que plus de 60 % des soignants ont des troubles du sommeil et consomment des hypnotiques régulièrement. Sur le sujet de la santé mentale, 1/3 des soignants sont en dépression, notamment les plus jeunes. Nous sommes très écoutés par la Fédération hospitalière de France. Parmi les pistes de réflexion, nous souhaitons proposer un poste de travail qui n’altère pas la santé physique et mentale des soignants.

Qu’entendez-vous par une évolution des postes de travail ?

Certains soignants préfèrent travailler moins de jours et plus longtemps, et être tranquilles le reste de la semaine. Mais ils ne sont pas toujours conscients des conséquences sur leur santé ». Ainsi, 80 % des services sont passés sur un mode où le personnel travaille 10 à 12h d’affilée. Surtout les aides soignants et infirmiers. C’est catastrophique car cela induit de l’épuisement professionnel. Ils augmentent leur consommation de café et de tabac. Certaines femmes choisissent des postes de nuit pour voir leurs enfants la journée, si bien qu’elles sont en privation constante de sommeil. S’endormir après 8h du matin, c’est à contre-courant du rythme du corps et c’est très perturbateur. Cela génère des troubles biologiques. Le plus déstructurant ce sont les personnes qui alternent des horaires du matin et de l’après-midi. En permanence, leur corps tente de s’ajuster. L’hôpital doit s’adapter à la réalité biologique et sociologique des employés. L’objectif est aussi de déployer le télétravail, sachant que beaucoup de disciplines ne nécessitent quasiment plus d’examen physique. En tout cas pour le suivi. On tente aussi de développer les « bulles zen », qui n’ont rien à voir avec les salles de garde qui représentent tout sauf du repos. Nous voulons mettre en place un endroit où tous les soignants seraient sûrs de pouvoir faire des micro siestes ou a minima, couper pendant au moins 15 minutes de leur activité sans être dérangés. L’interruption permanente avec des bips représente une énorme source d’épuisement. Le fait de travailler sur de longues plages horaires augmente le stress et le risque d’épuisement, et peut mener à une plus grande détresse psychologique. Ces données nous fournissent des clés pour orienter les politiques de santé et de prévention.

Et quelles pistes de réflexion sont en cours sur la question du harcèlement ?

Le sujet est complexe car tout le monde ne s’accorde pas sur la définition du terme alors qu’il existe une définition légale. Dans notre enquête, 40 % des répondants estiment avoir été harcelés professionnellement selon cette définition. Il s’agit d’humiliations répétées, d’une altération de la dignité, d’un manque évident de respect, d’un rabaissement lors de réunions devant les autres… Dans certains services, c’est monnaie courante. Nous portons beaucoup d’espoirs sur l’arrivée d’un nouveau DRH au sein de l’AP-HM et souhaitons adapter pour les soignants les outils baptisés « Prems » et « Proms » initialement conçus pour les patients pour recueillir leur expérience des soins, mais côté soignant. Nous avons par ailleurs initié des numéros d’urgence pour les personnes en situation de souffrance ou de détresse psychologique. À noter, 20 % des répondants estiment avoir été victimes de harcèlement sexuel.

Comment aider les gens à sortir du silence ?

Déjà en garantissant une protection grâce à l’anonymat. Nous aimerions pouvoir vraiment augmenter le dépistage de la dépression et informer les personnes de la nécessité de s’écouter. Il faut faire la part des choses entre une vraie maltraitance psychologique et une réaction face à une personne pas assez investie. Une autre piste porte sur l’alimentation et l’activité physique. Actuellement, l’hôpital fournit à ses patients et à ses soignants une nourriture ultra transformée et pas toujours de bonne qualité. Certes, la loi Egalim oblige les établissements à s’adapter, mais beaucoup sont à la traîne. Il y a des résistances à tous les niveaux et des questions concernant le coût. Dans les hôpitaux, on constate qu’il y a des prévalences d’obésité assez importantes.

C’est difficile d’attendre de la part de gens à bout de nerfs, fatigués, mal nourris ou trop nourris, qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes, non ?

Exactement ! Et puis surtout, je note une absence de prise de conscience. Si je ne prends pas soin de mon alimentation, je vais être plus fatigué, je vais moins bien dormir, je vais commencer à prendre du poids donc je vais avoir moins de motivation et d’énergie. C’est un cercle vicieux : on diminue son activité physique parce qu’on est fatigué, d’où des troubles liés à la sédentarité qui perturbent le cerveau. Spécialiste de psycho nutrition, je suis très sensible à ce sujet, et je constate que les gens ne font pas du tout le rapprochement entre ce qu’ils mettent dans leur assiette et leur état d’énergie et de perturbation mentale. C’est ce que nous souhaitons promouvoir dans nos formations. Paradoxalement, les soignants ont de très mauvaises connaissances nutritionnelles et génèrent une dette de santé qu’ils payent en milieu de vie. Ainsi, ils arrivent à 40 ans, épuisés, avec des troubles musculo-squelettiques et une obésité ou des maladies cardio-vasculaires. Certains CHU, comme celui de Marseille (ils sont hélas trop rares), proposent un marché à l’hôpital, avec des producteurs locaux qui viennent vendre leurs fruits et légumes à l’hôpital, ce qui permet aux soignants de faire leurs courses sachant qu’ils n’ont pas le temps autrement. Les produits sont de saison, et les prix intéressants. Tout le monde est gagnant. Mais c’est parfois compliqué parce que c’est perçu comme une déresponsabilisation voire comme de l’ingérence. En tout cas, je perçois de l’intérêt sur ces questions, et je constate qu’il y a beaucoup de méconnaissance. J’observe une banalisation du tabagisme. Certains soignants estiment que la pause cigarette est un moment particulier pour créer du lien avec le patient, alors même que je pense que nous devons être exemplaires et que le tabac augmente le risque de dépression, aussi bien chez les patients que chez les soignants.

M-FR-00012850-1.0 – Établi en décembre 2024