Photo : Jean-Frédéric De Leusse
La sclérose en plaques est la première cause de handicap non traumatique du jeune adulte. Le Pr Catherine Lubetzki , neurologue à la Pitié-Salpêtrière, et Jean-Frédéric De Leusse, président de l’ARSEP (fondation pour l’aide à la recherche sur la sclérose en plaques), évoquent l’évolution de la recherche et des traitements contre la sclérose en plaques pour améliorer la qualité de vie des patients. Regards croisés.
Comment définir la Sclérose En Plaques ?
Pr C. Lubetzki : C’est une maladie neurologique chronique dans laquelle il y a une perturbation du système immunitaire. Ce dernier se dérègle un peu et va reconnaître comme étranger des constituants de l’individu et au lieu de tolérer certains antigènes, il va se diriger contre eux. Ce dérèglement du système immunitaire va détruire des molécules d’une structure qu’on appelle la myéline, une gaine qui entoure l’axone (prolongement du neurone qui permet la transmission de l’information dans le système nerveux). Or, la gaine de la myéline assure la conduction de l’influx nerveux et par conséquent, là où la gaine de myéline est abîmée, la transmission de l’influx nerveux va se faire difficilement, très lentement, voire complètement s’arrêter.
J-F De Leusse : la sclérose en plaques touche environ 100 000 Français. Dans la grande majorité des cas, la maladie débute entre 25 et 35 ans et atteint de façon prédominante les femmes (on compte 2 à 3 fois plus de femmes que d’hommes malades).
Et comment est ce que cela se traduit ?
J-F De Leusse : La maladie provoque progressivement des troubles comme la fatigue, les vertiges, les difficultés visuelles, la perte d’équilibre, et au fur et à mesure de l’avancée de la maladie, cela peut conduire à des situations de handicaps graves et sérieuses. Mon père a eu cette maladie il y a très longtemps. Quand j’ai pu m’engager et contribuer à ce que la lutte contre cette maladie se renforce, se développe, je l’ai fait, car j’ai estimé que c’était quelque chose de bien. On m’a proposé à ce moment de rejoindre l’Arsep et d’en prendre la Présidence, ce que j’ai accepté avec beaucoup de joie.
Pr C. Lubetzki : La maladie provoque des symptômes qui dépendent de la localisation de l’atteinte de la myéline. Si c’est par exemple la myéline du nerf optique, cela donnera des troubles visuels ; si c’est la myéline du cervelet, cela donnera des troubles de la coordination ; si c’est la myéline de la moelle dans la partie antérieure cela donnera des troubles de motricité … Nous connaissons les étapes du dérèglement du système immunitaire et les cellules immunitaires impliquées.
Nous connaissons également assez bien tous les mécanismes de dégradation de la gaine de myéline. En revanche, nous ne savons pas très bien ce qui engendre, au tout début, ce dérèglement mais il y a pas mal d’hypothèses : facteurs de risques génétiques, facteurs environnementaux, infections virales contractées quelques années plus tôt …
Les symptômes sont-ils amenés à évoluer ?
Pr C. Lubetzki : Oui. Dans 80% des cas, la maladie débute par une forme rémittente ; les patients vont avoir pendant quelques semaines une poussée. Durant cette période, ils vont avoir par exemple, une baisse de l’acuité visuelle d’un œil, et puis au bout de trois, quatre, cinq, six semaines, ces symptômes vont disparaître. Et tout rentre dans l’ordre, soit complètement, soit incomplètement. Après un intervalle variable : 3 mois, 6 mois, 9 mois, 12 mois, 2 ans, 5 ans, il y a une deuxième poussée. Elle est le plus souvent complètement différente ; cela peut être, par exemple, un trouble de la sensibilité dans les jambes qui remonte sur l’abdomen, avec un engourdissement important, des troubles urinaires. Ce deuxième épisode va durer 3, 4, 5 ou 6 semaines. Puis, tout rentre dans l’ordre complètement ou incomplètement.
Dans la forme rémittente, les poussées évolutives se succèdent. Au bout d’une petite quinzaine d’années, la moitié des patients quittent cette phase « rémittente » et entrent dans une deuxième phase de la maladie dite « secondairement progressive » : il n’y a plus de poussées mais un handicap s’installe (troubles de la marche, de l’équilibre par exemple), il s’aggrave progressivement et il est irréversible. La troisième forme de la maladie dite « progressive d’emblée » est plus rare. Il n’y a jamais de poussées et il y a d’entrée une aggravation progressive des symptômes. Elle concerne environ 15% des patients.
Comment a évolué la prise en charge ?
Pr C. Lubetzki : Il y a eu beaucoup de progrès dans la prise en charge de la maladie avec l’apparition, depuis un peu plus de 15 ans, de traitements qui modifient l’évolution de la maladie. Il n’y a pas de traitements qui arrêtent la maladie, qui guérissent mais ils diminuent la fréquence des poussées. Nous avons à notre disposition une dizaine de molécules thérapeutiques. C’est dans la forme rémittente de la maladie que nous avons fait de vrais progrès. Les traitements dits «de première ligne » et «de deuxième ligne» diminuent la fréquence des poussées et s’attaquent au dérèglement du système immunitaire. En revanche, pour les deux autres phases de la maladie, la phase secondairement progressive et la maladie qui évolue d’emblée de façon progressive, cela reste une grosse difficulté.
Il y a beaucoup d’études, de projets de recherche mais pour le moment, le traitement de la phase progressive de la maladie reste plus difficile.
Ensuite, il y a les traitements des symptômes avec des médicaments que l’on utilise pour d’autres maladies neurologiques, par exemple pour traiter la raideur des membres inférieurs, les troubles urinaires. Il est important de privilégier une prise en charge multidisciplinaire pour les patients avec des handicaps irréversibles afin de mieux faire face à ces handicaps.
J-F De Leusse : L’objectif, c’est de ralentir la maladie, et de diminuer ses effets secondaires négatifs. Il faut faire en sorte que les malades qui ont des poussées en souffrent le moins possible dans leur vie quotidienne. Le pronostic est très incertain, nous connaissons l’évolution de la maladie mais nous ne savons pas à quelle vitesse cela va se produire, quelle va être l’ampleur des atteintes. Les personnes nous demandent d’abord de l’information, elles veulent comprendre ce qui va arriver, ce qu’elles doivent faire, comment elles doivent gérer un certain nombre de problèmes de la vie quotidienne.
Quels sont les progrès en matière de recherche ?
Pr C. Lubetzki : Il y a eu des progrès très importants, essentiellement des immunothérapies. Ces progrès permettent de diminuer la fréquence des poussées. Lorsque le handicap irréversible s’installe et s’aggrave, c’est plus difficile. Il y a actuellement beaucoup de recherches pour essayer de prévenir l’atteinte neuro-dégénérative ; concernant la myéline, des essais thérapeutiques sont en cours dont l’objectif est de favoriser la réparation des lésions.
J-F De Leusse : il y a un progrès continu lié aux avancées de la recherche. Beaucoup de nouvelles molécules arrivent. Nous avons des traitements de plus en plus efficaces les personnes atteintes de SEP et des traitements de plus en plus adaptés à un certain nombre de situations particulières, notamment aux situations de non réaction aux traitements. Concernant la forme progressive de la SEP, nous nous associons avec un certain nombre d’autres partenaires mondiaux pour lancer un très grand programme de recherche d’un investissement de l’ordre de 25 millions d’euros. Catherine Lubetzki aura la responsabilité de la coordination pour la France.
Quel lien y a t il entre la recherche fondamentale et l’amélioration de la prise en charge des patients ?
Pr C. Lubetzki : La recherche, tant en France qu’au niveau mondial, a joué un rôle essentiel dans l’amélioration de la prise en charge des patients et dans l’amélioration du pronostic. Pour mettre en évidence l’effet d’un médicament potentiel, nous devons le tester sur des milliers de patients. Toutes les études, tous les essais thérapeutiques sont des essais multicentriques, mais ce sont dans leur quasi-totalité des essais internationaux. Cette collaboration internationale est très importante pour faire avancer la recherche. Il existe depuis deux ans une « Task Force » internationale dans laquelle la France et la Fondation Arsep sont impliquées pour mieux percer à jour le secret des mécanismes des phases progressives de la maladie, et essayer d’identifier des pistes thérapeutiques potentielles.
J-F De Leusse : il y a un bond en avant tous les dix ans environ. Aujourd’hui, il y a des traitements très efficaces. Quand on diagnostique une SEP, très souvent vous êtes un jeune adulte et la maladie, sauf évolution très brutale, ne va pas altérer votre espérance de vie. Vous vivrez avec la maladie 40 ans, peut-être 50 ans et vous connaîtrez des progrès très importants en ce qui concerne la recherche et les traitements. Nous travaillons sur une maladie à très long terme, nous ne comprenons pas tout mais nous avons le sentiment que dans les 40 ans qui viennent, beaucoup de choses vont s’améliorer. C’est une maladie auto-immune complexe et c’est la recherche qui a permis de connaître l’impact des hormones, des toxines sur l’évolution de la maladie, et c’est là-dessus que se base la thérapie.
La recherche est un processus très complexe qui se construit par strates. Les progrès fait en matière de traitement depuis 30 ans sont absolument considérables.
Quel est le rôle de l’Arsep dans l’amélioration des connaissances sur la SEP ?
Pr C. Lubetzki : L’Arsep a pour objectif de faire la connaître la maladie et d’informer les patients. Il s’agit aussi de promouvoir la recherche. Des appels d’offres ont lieu et des projets sont soumis à la Fondation pour financement. Ils sont évalués par des scientifiques français et internationaux. Sont sélectionnés les projets qui nous paraissent les meilleurs et seulement les projets en lien avec la recherche sur la sclérose en plaques. La contribution de l’Arsep à la recherche est absolument cruciale.
J-F De Leusse : Nous facilitons la création de connaissances en finançant la recherche et nous facilitons sa diffusion via différents canaux de transmission d’informations.
Concernant les programmes de recherche, l’année dernière, nous avons distribué environ 2.5 millions d’euros. Notre comité scientifique qui comprend 24 membres fait un appel d’offres pour sélectionner des projets. Sur les 80 à 90 projets qui arrivent tous les ans, nous en finançons entre 20 et 30, à hauteur de 50 000 à 60 000 euros chacun. Par ailleurs, chaque année, nous réunissons des personnes atteintes de SEP pour une journée avec notre comité scientifique qui explique les progrès réalisés, les pistes de recherche. Nous organisons également une journée scientifique, en général avec des partenaires étrangers, de façon à décloisonner le plus possible la recherche française.
Notre rôle est de permettre aux scientifiques de parler entre eux, de se connaître, de manière à créer un environnement de recherche beaucoup plus favorable.