Soins post-réanimation : vers une amélioration de la prise en charge ?

Hôpital
Soins post-réanimation : vers une amélioration de la prise en charge ?

Marine Paul est médecin en réanimation au Centre hospitalier de Versailles. Elle s’intéresse au devenir des patients à la sortie de l’hôpital, après qu’ils aient été pris en charge en réanimation. Alors même que les patients et leurs proches peuvent présenter des troubles émotionnels et cognitifs, aucune trajectoire n’est organisée. Explications.

Avez-vous le sentiment qu’on parle davantage de réanimation depuis la Covid ?

Absolument, peu de gens s’intéressaient à cette spécialité pourtant essentielle, car il s’agit d’assister des organes vitaux atteints d’une infection, d’un AVC, d’un infarctus, d’un arrêt cardiaque… Si la réanimation n’existait pas, les patients qui présentent des troubles décèderaient. Or grâce aux machines et aux soins mis en place en réanimation, la mortalité est considérablement réduite.

Existe-t-il des consultations post-réanimation ?

Hélas, peu de services en France en proposent. Ces consultations se font environ trois mois après la réanimation. Elles sont menées par un réanimateur et un psychologue. Cela a vraiment du sens pour le patient car il y a un réel stress post traumatique.

Les séquelles d’une réanimation sont-elles transitoires ou permanentes ?

Avant toute chose, j’aimerais insister sur le fait que, quelle que soit leur nature, ces séquelles doivent absolument être prises en charge. Ensuite, tout dépend s’il s’agit d’un arrêt cardiaque, d’un AVC avec un traumatisme crânien… Ce qui est certain, c’est que quand il y a un organe qui ne fonctionne pas bien tous les autres organes vont réagir et en pâtir. Les cellules peuvent avoir des séquelles, notamment au niveau du cerveau, même si on vient pour une infection des reins. C’est très important de faire l’état des lieux à distance de la réanimation, une fois que les patients sont revenus dans leur quotidien, afin d’évaluer les besoins et de planifier une éventuelle prise en charge.

Pourquoi ce suivi n’est-il pas proposé systématiquement ?

Parce que c’est très lourd à mettre en place à l’hôpital public. Ça demande du temps médical et paramédical pour l’organiser correctement. C’est donc un problème de moyens financiers et humains. Chaque machine et chaque journée de réanimation coûtent extrêmement cher.

Existe-t-il des différences très importantes d’un établissement à un autre en termes de qualité d’équipements et de suivi de réanimation ?

Non, parce qu’à partir du moment où un établissement remplit une charte pour ouvrir un service de réanimation, les moyens sont les mêmes tout comme la qualité des respirateurs. En revanche, ce qui manque beaucoup en réanimation, et on l’a bien entendu avec la Covid, ce sont les infirmières, car c’est un métier mal rémunéré, très difficile, très technique et très fatigant. En effet, elles doivent pouvoir gérer aussi bien des dialyses (donc des reins artificiels), que des ventilateurs, des médicaments… Et chaque erreur peut être fatale pour le patient.

Qu’appelle-t-on le syndrome post-réanimation ?

C’est un syndrome fréquent qui survient chez plus de 50% des patients. Il correspond  à un ensemble de troubles somatiques et psychologiques à la suite de la réanimation. Il comprend le stress post-traumatique, avec parfois une dépression assortie de troubles anxieux à la suite du séjour en réanimation. Il faut savoir que dans nos services, il n’y a pas de différences jour/nuit. Certes, on essaie d’éteindre les lumières le soir mais il peut y avoir des entrées à n’importe quelle heure, du bruit, des alarmes, de l’agitation… avec le sentiment que les journées ne s’arrêtent jamais. Donc quand on reste plus de 48 heures on peut être déphasé.

Retrouve-t-on quand même une vie normale après ?

Encore une fois, tout dépend du motif d’admission en réanimation. En ce qui concerne l’arrêt cardiaque par exemple, il faut savoir qu’une forte proportion de patients admis à la suite d’un arrêt cardiaque récupéré va décéder en réanimation, majoritairement à la suite de séquelles neurologiques. Ceux qui se réveillent peuvent sortir de réanimation et pour la grande majorité retourner chez eux, mais avec parfois une altération de la qualité de vie transitoire ou durable. Il n’est pas évident de retrouver un travail et une vie tout à fait comme avant.

Quid des troubles émotionnels ?

Pour tout un chacun, le fait d’avoir été en réanimation, et de plus sur une durée longue, génère souvent de l’anxiété ou de l’angoisse, qui peut se traduire par du stress post-traumatique avec des réminiscences. C’est encore plus vrai si le patient a été suivi antérieurement pour des troubles psychologiques. Certains rentrent chez eux dans un état de dépression, car en plus des conséquences psychologiques, ils constatent que leur corps a changé (amaigrissements, amyotrophie*, sarcopénie**…) et qu’ils sont moins autonomes. Ils auraient besoin de consulter des psychologues, mais ces derniers ne sont pas systématiquement pris en charge par la sécurité sociale. D’autres patients peuvent être dans le déni, et se disent qu’ils n’ont pas besoin de suivi, qu’ils ont survécu à la réanimation et qu’ils n’ont pas le droit de se plaindre.

Comme une forme de culpabilisation ?

Oui exactement. J’espère qu’avec la Covid, la souffrance des gens va dans une certaine mesure libérer la parole des patients qui sortent de réanimation. Il faut assumer le fait de ne pas aller bien, pour trouver les moyens d’aller mieux.

Existe-t-il des associations pour aider ces patients qui sortent de réanimation ?

Etrangement non pas encore en Île-de-France. Les établissements de soins, en tout cas publics, ont peu de moyens. La psychologie et la psychiatrie y sont en souffrance, si bien que les soins se font nécessairement en ville, ce qui représente un certain coût. Pour vous donner une idée, un bilan neuropsychologique pour évaluer les troubles cognitifs, intellectuels, la mémoire, l’organisation… représente 250 à 350 €. Il faudrait à mon sens déployer des initiatives avec des patients experts, et des groupes de paroles menés par des psychologues.

A l’heure actuelle, quel est le suivi des patients qui sortent des services de réanimation ?

Peu de services de réanimation en France proposent un suivi post-réanimation. Quand le patient arrive, il est la plupart du temps confus, ou dans le coma, si bien que les proches sont les principaux interlocuteurs. Nous les tenons au courant régulièrement de l’état du patient et les préparons dans certains cas à l’épreuve du deuil. Le fait de comprendre leur permet de mieux accepter. La famille est donc très intégrée dans la prise en charge. Nous faisons des points tous les jours avec les familles, mais à partir du moment où il sort de l’établissement, on ne le reverra probablement jamais. Nous avons fait partie de leur vie de façon très intense pendant plusieurs jours, parfois plusieurs semaines, puis la porte se referme et notre accompagnement prend fin. Le patient et ses proches vont se retrouver plus isolés, avec le poids de maladie et du séjour en réanimation. Les services de médecine de l’hôpital, puis les médecins généralistes prennent le relais.

Le retour à domicile peut être difficile car le patient va devoir se débrouiller seul. Cela représente un nouveau choc ?

Effectivement ! Toute rupture dans son état antérieur va avoir des conséquences, mais dans le cas de la réanimation, il y a quand même quelque chose de particulier par rapport à d’autres types d’hospitalisations, c’est que le patient est souvent passé par un état de non conscience. C’est souvent un « survivant ». Le proche en a conscience mais le patient pas tout de suite. Arrivé à la maison, le proche peut être amené à le surprotéger, ce qui peut diminuer le regain d’autonomie du patient. Bien sûr, les patients ne sont pas laissés à l’abandon, les médecins des services d’aval et  les généralistes encadrent les retours à domicile. Par ailleurs, certaines familles sont très proactives et vont participer à la rééducation, mais c’est une charge lourde, qui peut les amener à culpabiliser si cela ne se passe pas bien, que le patient ne progresse pas ou que son état se dégrade. Il arrive, heureusement plus rarement, que des enfants soient concernés, et d’autres difficultés se posent. 

Tous les patients et leurs proches ont-ils besoin d’un suivi ?

Il faut distinguer les besoins visibles  (quand le patient n’arrive pas à faire sa toilette, qu’il est incontinent…) et les besoins moins visibles. Il n’est pas rare que le patient soit dans le déni, et prétende aller bien. Souvent, il n’est pas encore retourné à la vraie vie, c’est-à-dire le travail, la vie de couple, le fait de s’occuper de ses enfants… Mais quand la vie reprend son cours, ils réalisent qu’ils sont beaucoup plus lents, et que cela compromet leur vie professionnelle… c’est là qu’intervient le choc. D’où l’intérêt de la consultation post-réanimation. C’est lourd à mettre en place mais c’est important. Le service dans lequel je travaille a fait une demande pour un poste de psychologue et travaille sur la mise en place de consultations post réanimation, car c’est un moyen de prévenir et d’anticiper des situations qui pourraient arriver.

 * atrophie musculaire

** diminution des capacités musculaires

 

 

M-FR-00004502-1.0 – Etabli en novembre 2021