Cancer du sein : témoigner pour briser l’isolement

Cancer du sein : témoigner pour briser l’isolement

Sociologue et directeur d’études au sein de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Philippe Bataille est membre du Centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin. Ses recherches portent, entre autres, sur l’expérience médicale et sociale de la maladie grave. A ce titre, il explique, à l’occasion d’Octobre rose, et en exclusivité pour Voix des Patients, l’intérêt pour les femmes de témoigner et de partager leur vécu de la maladie.

Quels sont les bienfaits du témoignage dans le traitement du cancer du sein ?

Parler permet avant tout de briser l’isolement. Entre la vie conjugale, les enfants qui grandissent, les difficultés économiques, les crédits…Lorsque le cancer vous rejoint, le temps de sidération provoque un sentiment de désolation, de fatalité, de mauvais destin et d’injustice car la personne se retrouve rattrapée par la maladie et seule pour l’affronter. Il y a un moment de fracture qui entraîne isolement, repli sur soi et sentiment de vide. Par la suite, tous les projets les plus simples du quotidien (sport, projet de voyage, mobilité professionnelle,…) vont se retrouver impactés par le cancer. Le fait que d’autres personnes touchées, elles aussi, par la maladie, puissent s’exprimer sur le sujet, permet à la fois de sortir de cet isolement mais aussi de replacer le cancer dans un contexte plus global (soins, traitements, chances, espoir…). Parler, lire et écouter peut permettre aussi de retrouver des chemins d’espoir pour, non seulement se guérir, mais aussi continuer à vivre, tout en étant touché par la maladie ou menacé par la récidive. Il y a une familiarité possible avec le cancer.

Y a-t-il des vertus thérapeutiques dans le fait de s’exprimer sur la souffrance vécue ?

Oui. Et elles sont colossales ! C’est peut-être l’évènement sociologique dominant de ce début de siècle. Rappelons qu’en 30 ans, le nombre de cancer a doublé, passant de 150 000 à 350 000. En même temps, il y a eu une évolution au niveau des traitements thérapeutiques avec notamment l’arrivée de l’immunothérapie. En parallèle, les lieux d’échanges et d’informations se sont multipliés. Cette manière de parler de son cancer ou d’accéder aux témoignages de ceux qui en parlent, participe d’un évènement plus global qui consiste à se reposer sur le patient lui-même pour réussir ses soins. Il est clair que l’on améliore l’efficacité des traitements si les patients sont bien informés sur la manière dont ils peuvent faire évoluer leurs parcours de soins, qui restent lourds. Le patient devient acteur de ses soins et pro-acteur de ses traitements en rapport avec des informations qu’il adapte à lui-même. Il cherche aujourd’hui à reprendre la maîtrise de son corps. Ce patient est, par ailleurs, beaucoup plus nomade et les soins, plus ambulatoires. C’est la représentation sociale du cancer elle-même qui est en train de changer.

Y a-t-il suffisamment d’espaces aujourd’hui, sur le web ou ailleurs, pour permettre aux femmes de s’exprimer sur ces sujets ?

Oui mais en même temps il n’y en a jamais assez ! J’ai (trop) souvent entendu de critiques sur la prolifération de sites ou forums permettant aux gens de s’exprimer et de parler de leur maladie. Je trouve au contraire que si autant de personnes s’y rendent pour se renseigner et en faire part ensuite à leurs médecins, c’est aussi pour que ces derniers s’expriment davantage sur ces sujets et les pistes de traitements possibles ! Il n’y a et il n’y aura jamais assez d’informations qui circuleront sur des situations où les gens sont dans l’angoisse et l’incertitude. Ces informations devraient même servir aux médecins eux-mêmes et à l’industrie pharmaceutique pour comprendre comment les malades vivent les effets secondaires de tel ou tel traitement.


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