Faut-il avoir peur des perturbateurs endocriniens ?

Faut-il avoir peur des perturbateurs endocriniens ?

La dangerosité des perturbateurs endocriniens est souvent mise en avant. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Et quel est leur réel impact sur le système hormonal ? Voix des Patients lève le voile pour tenter de démêler le vrai du faux. Entretien avec Anne-Marie Ballière, endocrinologue à Caen.

On parle beaucoup des « perturbateurs endocriniens », de quoi s’agit-il ?

Si chacun sait ce que l’on entend par « perturbateur », le mot « endocrinien » est sans doute plus mystérieux. Éclaircissons le mystère en présentant ce système endocrinien encore appelé système hormonal. Notre organisme est une usine chimique, composé de glandes endocrines (à ne pas confondre avec les ganglions appartenant à un autre système) qui produisent des hormones. Chaque hormone a un rôle particulier et déterminé. Lorsque ce rôle est perturbé par une ou des substances chimiques ou naturelles (perturbateurs), l’équilibre hormonal n’est plus atteint et il y a apparition d’une maladie.

Est-ce que chaque hormone a sa propre fonction ?

Oui absolument. Les plus connues sont les hormones thyroïdiennes, produites par la thyroïde. Elles ont un rôle important sur la croissance et agissent sur de nombreux organes (cœur, intestins, etc.) et aussi l’humeur. Le cortisol et l’adrénaline sont produits par les glandes surrénales (petites glandes situées au-dessus des reins).
Il y a aussi le cortisol, une hormone vitale. L’adrénaline est l’hormone du stress et de la défense, elle permet une certaine adaptation à l’environnement. Les oestrogènes et la progestérone, deux hormones féminines produites par les ovaires, ont un rôle fondamental dans la reproduction, la fertilité et la féminité. La testostérone, hormone sexuelle masculine produite par les testicules, interfère dans la reproduction (formation des spermatozoïdes) et la virilité. Toutes ces glandes sont sous les ordres de l’hypophyse qui joue un rôle de chef d’orchestre. L’hypophyse a aussi un rôle propre sur la croissance. L’insuline, autre hormone vitale, est produite par le pancréas. Le manque d’insuline donne la maladie diabétique.
Un perturbateur endocrinien est donc une substance qui entrave le bon fonctionnement du système hormonal. Il pourra soit empêcher la production et l’action de l’hormone, soit se mettre à la place de la vraie hormone, ce qui entraîne des désordres.

Où trouve-t-on ces perturbateurs endocriniens ?

Les perturbateurs endocriniens sont présents absolument partout, dans l’air, l’eau, les objets que l’on utilise, les aliments… Cela va des détergents aux engrais, en passant par les cosmétiques (parabènes) et les objets en plastique (bisphénol A). Ils sont utilisés dans tous les secteurs et sont incontournables, mais tout est dans la mesure de leur utilisation. Il est impossible de les répertorier tous, ils sont classés en fonction de leur impact sur le système hormonal.

Présente-t-on tous la même sensibilité face à ces substances ?

Non. Les individus sont, par nature, plus ou moins vulnérables à ces perturbateurs endocriniens. Il y a aussi des périodes de la vie durant lesquelles la sensibilité à ces perturbateurs endocriniens est particulièrement importante et où il est préférable de limiter au maximum ces substances, notamment pendant les périodes de croissance, c’est-à-dire pendant la grossesse et chez l’enfant.

Sachant qu’ils sont partout, difficile de les éviter. Est-il en revanche possible de faire une detox ? Comment peut-on limiter l’exposition ? Y-a-il des aliments anti-perturbateurs endocriniens ?

Non, il n’y a malheureusement pas d’antidote. Il faut faire attention à ce que l’on achète, en veillant à ce qu’il n’y ait pas trop de conservateurs, comme c’est souvent le cas dans les plats préparés, d’où le succès de la vraie alimentation bio. Pour la femme enceinte, la prudence est de règle tant pour l’alimentation, les médicaments, mais aussi les cosmétiques. Attention aux teintures pour cheveux et certains rouge à lèvres… Pour les enfants on fera particulièrement attention à leur alimentation, choix et préparation des aliments, on ne chauffe pas un biberon en plastique dans le four à micro-ondes, on choisit des légumes bio, etc.

On soupçonne beaucoup de cancers d’être liés à des perturbateurs endocriniens, notamment celui de la thyroïde, mais aussi ceux de l’ovaire, des testicules, de la prostate …

Difficile d’avoir cette affirmation, mais il persiste un doute. Nous devons donc rester vigilants. Les conséquences les plus rapportées sont les maladies thyroïdiennes. Il peut s’agir d’insuffisance thyroïdienne, laquelle se caractérise par une grande fatigue, une petite prise de poids, une constipation et une frilosité inhabituelle. On observe parfois aussi un excès d’hormone thyroïdienne. Il a été aussi noté des formes de diabète de type 2 appelé autrefois diabète gras. Un perturbateur endocrinien peut entraîner une trop grande sécrétion d’insuline et être à l’origine d’une certaine obésité, elle-même entraînant un diabète.

Les cancers des glandes endocrines se traitent-ils bien ?

La plupart du temps ce sont des cancers se traitant bien. Certains posent cependant quelques difficultés de traitement, en particulier lorsqu’ils sont découverts tardivement. Attention, il ne faut pas tomber dans l’équation simpliste souvent entendue qu’un perturbateur endocrinien est cancérigène, car tous les perturbateurs ne sont pas mauvais. S’ils sont bien utilisés, à dose raisonnable, ils nous sont bien utiles …Que ferions nous aujourd’hui sans médicaments, sans produits d’hygiène, sans désinfectants, etc. ? Le conseil est donc à la modération, il faut bien lire les étiquettes de certains produits, ne pas acheter toujours les mêmes et être particulièrement vigilants pendant les périodes de la vie que sont la grossesse et l’enfance.