Une plateforme numérique pour préserver le maintien des patients dans l’emploi

La vie au travail
Une plateforme numérique pour préserver le maintien des patients dans l’emploi

Concilier maladie et travail n’est pas toujours chose aisée. Pour trouver des solutions, un outil inédit, interactif et participatif a vu le jour il y a un an. Accessible partout depuis un ordinateur, une tablette ou un smartphone, la plateforme numérique « Alex pour 1 000 patients en Oncologie » propose des pistes de réflexion à chaque étape depuis l’annonce de la maladie à la reprise de l’activité professionnelle. Ce projet a été sélectionné par Coalition Next (cf. encadré) pour favoriser son déploiement. Entretien croisé entre Anne-Sophie Tuszynski, à la tête de la startup WeCare@Work, à l’origine de ce projet, et Guilaine Wilkins, responsable du Département PRISME et du service social de l’Institut Bergonié à Bordeaux, où le dispositif a été lancé en février dernier.

En quoi consiste ce projet ?

Anne-Sophie Tuszynski : Alex est une plateforme numérique qui accompagne tous les salariés confrontés à la maladie. Il s’agit d’informer, d’orienter, de guider et d’aider le patient à prendre du recul afin qu’il vive le plus sereinement possible cette expérience de vie. Ce service innovant a été développé par des patients pour des patients, avec le soutien d’experts. Alex est disponible 24 h/24, sur tous supports : ordinateur, tablette et smartphone – et répond à toutes les questions qui se posent comme : Est-ce que je dois en parler à mon employeur ? Qui peut m’aider ? Qui va me payer pendant mon absence ? C’est quoi la RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) ?

Quelle a été la genèse de ce projet ?

AST : C’est l’aboutissement de dix ans d’engagement. J’ai créé la startup WeCare@Work pour répondre à un besoin d’accompagnement des employeurs et des patients confrontés à des maladies graves ou chroniques, comme les cancers. Aujourd’hui, en France, près de 1 200 personnes apprennent chaque jour qu’elles ont un cancer. Environ la moitié travaille. Si on élargit le point de vue et qu’on s’intéresse à toutes les personnes dans la population active susceptibles d’être directement confrontées à une maladie grave ou chronique, le Conseil Économique, Social et Environnemental annonçait en 2018 le chiffre de 15 % d’actifs directement touchés. Pourtant, ce sujet reste encore trop souvent sous les radars des entreprises pour une raison simple : « on n’est pas malade au travail ». Lorsqu’il y a quelques années, nous avons commencé à faire des propositions d’accompagnement individuel ou collectif, tant pour les personnes malades que pour les managers, nous avons très vite été confrontés à une demande massive, surtout de la part des entreprises de grande taille disposant de moyens humains et financiers pour s’intéresser à ces sujets d’innovation sociale. Nous avons pris conscience que les personnes qui travaillent dans de petites entreprises ou qui sont éloignées de centres de soins sont moins bien loties, car elles n’ont pas accès à ces accompagnements. Fort de ce constat, la voie du numérique s’est imposée et nous avons décidé de digitaliser notre accompagnement en développant Alex, une plateforme permettant de concilier maladie et travail qui fonctionne comme un coach digital.

S’agit-il du prolongement de la fameuse plateforme Allo Alex qui avait vu le jour il y a quelques années ?

AST : Allo Alex est une ligne téléphonique couplée à la plateforme digitale. La genèse d’Alex pour 1 000 patients en oncologie est née d’abord de liens historiques notamment avec Guilaine Wilkins et l’institut Bergonié.

Guilaine Wilkins : En effet, l’Institut Bergonié est très en pointe sur ces préoccupations de vie professionnelle des patients, avec ce constat intuitif que plus on s’occupe tôt dans le parcours de soin du sujet du travail, plus on permet aux patients de conserver des liens avec leur employeur pendant la maladie. Le retour à l’emploi sera ainsi plus facile, tout comme le maintien dans l’emploi. Ce projet vient d’une collaboration tissée au fil du temps avec Anne Sophie Tuszynski. Il ne se passe pas six mois sans qu’on ait un lien quelconque avec pour fil rouge l’accompagnement dans l’emploi, pendant et après l’arrêt de travail de nos patients. J’avoue avoir découvert ce sujet tardivement dans mon emploi premier d’assistante sociale, car les premières années j’exerçais sur les secteurs d’hospitalisation accompagnant des patients hospitalisés, perfusés à leur chimio. L’emploi n’était pas notre première préoccupation. Quand j’ai changé de service et que je suis passée à l’hôpital de jour, l’ambulatoire et la consultation, j’ai accompagné des patients dans un autre temps de la maladie, à distance des traitements durs et lourds. De ce fait, les questions de l’emploi et de l’arrêt de travail étaient très importantes. Pour beaucoup de patients arrêtés pendant un certain temps ; la question « de quoi je vais vivre ? » est très préoccupante.

Et pour les personnes qui sont à leur compte, la question se pose sans doute avec une acuité plus grande encore ?

GW : En tant qu’assistante sociale, on connaît tous les statuts. En effet les choses ne sont pas les mêmes selon qu’on est fonctionnaire, esthéticienne, chauffeur de taxi… Quand Anne-Sophie est venue me parler de cette application digitale pour accompagner les patients, cela correspondait à ce que nous rêvions de mettre en place, mais il nous aurait fallu pour cela des moyens humains, financiers et du temps conséquent. Elle est arrivée avec une solution déjà travaillée que nous avons pu redessiner ensemble.

Dans la mesure où tout est expliqué sur la plateforme, parlez-vous en quand même avec les patients ?

GW : Oui, car si certaines personnes ont accès à la plateforme sans passer par nous, d’autres préfèrent nous contacter. Nous les rencontrons afin de répondre à leurs questions, lesquelles seront différentes entre un début de maladie, un milieu de parcours ou une fin de parcours. À l’occasion du premier entretien avec l’assistante sociale, beaucoup d’informations sont fournies. Mais ce rendez-vous a souvent lieu au milieu d’une journée de soins au cours de laquelle le patient va voir un médecin, un radiologue, une secrétaire, une diététicienne… si bien que certaines données peuvent se perdre en cours de route. D’où l’intérêt de la plateforme car ils peuvent y retrouver les explications apportées.

AST : Et ce d’autant qu’une plateforme numérique a le bénéfice d’être disponible 24 h/24 h, 7 jours sur 7, où qu’on se trouve géographiquement. À condition bien évidemment d’avoir accès à internet. Si on est réveillé la nuit par une préoccupation, pas besoin d’attendre par exemple que la ligne téléphonique soit ouverte.

Les équipes de Tribu Cancer, conscientes que les patients avaient beaucoup d’angoisses la nuit, avaient mis en place il y a quelques années le projet Mail de Nuit. Ce sont en effet des moments où on est seul, et le fait de pouvoir accéder à votre plateforme jour et nuit est en effet précieux. Qu’est-ce qu’on trouve sur Alex ?

AST : On va trouver des informations, des conseils, des partages d’expériences car Alex c’est aussi une communauté. Il y a aussi des ressources utiles, un carnet de bord pour consigner ses réflexions parce qu’Alex c’est tout sauf un outil qui impose un chemin. Quand un patient se pose la question de savoir s’il doit parler à son employeur de sa maladie, Alex ne va surtout pas dire : oui ou non, il faut absolument en parler ou pas. Alex informe sur l’obligation légale consistant à envoyer son arrêt de travail dans les 48 h et invite l’utilisateur à la réflexion. Quel est le risque de parler de ma maladie à mon employeur ? Quels avantages ? À qui je peux en parler ? En quoi cela va m’aider ? Chacun ensuite va faire ses propres choix. C’est comme une coach digitale, une facilitatrice. Elle aide les utilisateurs à atteindre leur objectif mais sans décider à leur place. On leur explique les différentes phases qui vont concerner l’annonce, l’arrêt de travail, l’absence longue durée, la préparation du retour, la vie après la maladie pour celles et ceux qui ont la chance de s’en sortir… On évoque aussi des situations moins joyeuses. Nous avons récemment doté Alex de quelques pauses douceurs avec de la sophrologie pour prendre du recul et s’occuper de soi. Alex devient aussi un outil d’amélioration de la qualité de vie des patients.

Quels sont les retours des utilisateurs ?

GW : Les patients sont tous très contents car comme le disait Anne-Sophie on peut s’y connecter à tout moment, depuis n’importe quel support, alors que l’assistante sociale c’est différent, on ne peut pas la solliciter à 3 heures du matin quand on se demande à qui envoyer son arrêt de travail. C’est donc pratique, facile, utile et surtout, ils peuvent y revenir souvent car quand on est en traitement, on peut oublier aussi beaucoup les choses. La chimio impacte beaucoup les capacités cognitives, si bien que les patients peuvent souffrir d’une grande fatigabilité, de perte de mémoire ou de concentration. Pour les utilisateurs, cette plateforme est souvent perçue comme une mine d’or et un véritable soutien. Ils ont conscience que les chances de maintien dans l’emploi sont augmentées par une prise en compte de leur vie professionnelle le plus tôt possible dans le parcours de soins.

Anne-Sophie, vous évoquiez tout à l’heure vos 10 années d’engagement sur ces sujets-là. Est-ce que vous vivez ce projet comme une forme d’aboutissement ou un jalon parmi tant d’autres ?

AST : Comme une nouvelle étape. Nous ne sommes qu’une toute petite pierre d’un édifice qui nous dépasse mais en 2011 quand moi-même j’ai été confrontée à la maladie, on ne prononçait pas le mot « cancer » dans la société. Les journalistes évoquaient plutôt de « longues et douloureuses maladies ». Et dans le monde du travail, c’était totalement tabou ! Grâce à toutes les actions menées, j’ai le sentiment que les langues se délient et on peut engager les dialogues plus facilement entre employeurs et salariés. D’ailleurs la loi de santé au travail compte un nouveau dispositif symbolique : « le rendez-vous de liaison », qui invite l’entreprise et le salarié à dialoguer sur ces sujets de santé et de longue absence.

Quel est votre souhait ?

AST : Que plus personne ne se sente seul(e) face à une maladie grave, en tout cas sur le sujet de la vie professionnelle, que ce soit les patients mais aussi leurs aidants, les managers, les équipes. Ce que nous cherchons à tout prix chez WeCare@Work, c’est à démocratiser l’accompagnement des salariés et des équipes confrontés à la maladie. Notre plateforme est jeune, elle a un an. Elle est adoptée par des employeurs pour leurs salariés. Toutes les entreprises n’ont pas encore compris qu’elles avaient un rôle à jouer dans l’accompagnement de leurs salariés malades et de leurs équipes confrontées à la maladie. Les projets expérimentaux menés avec l’institut Bergonié vont permettre de continuer à faire grandir le mouvement. Nous visons l’autonomie totale des personnes et des employeurs. Nous aurons réussi quand nous n’aurons plus besoin d’outils pour concilier maladie et vie professionnelle.

Quand vous parliez de vos « clients », cela signifie que c’est une solution qui est payante pour les entreprises ?

AST : Oui, tout à fait, c’est une solution qui est achetée par les employeurs pour leurs salariés ou des mutuelles pour leurs bénéficiaires. 1 000 accès sont offerts aux patients dans le cadre de notre projet expérimental Alex pour 1 000 patients en oncologie parce que nous sommes attachés à la gratuité pour les patients. Nous explorons le modèle économique de cette solution parce qu’il faut bien payer les développeurs, les créateurs de contenus et toute l’équipe. Quand on sait ce que coûte l’absentéisme aux entreprises en France chaque année, à savoir 108 milliards d’euros, on se dit qu’elles ont tout à gagner à mettre en place une solution simple, digitale et peu onéreuse. Pour le moment, la plateforme est disponible pour les salariés du régime général ; des versions adaptées aux autres statuts : fonction publique, régimes spéciaux… sont en cours de développement.

La Coalition Next réunit des entreprises de santé, des laboratoires pharmaceutiques (dont Roche France), des établissements de soins publics et privés, des mutuelles, des associations de patients, et des acteurs de l’innovation et du financement. Tous les ans, sont organisés des appels à projets pour identifier des solutions innovantes à impacts vertueux pour les patients et le système de santé. Les membres de la coalition choisissent de soutenir certains de ces projets. Il se trouve qu’Alex 1 000 patients en oncologie a attiré l’attention de quatre entreprises membres de cette coalition (dont Roche) qui ont décidé ensemble de soutenir cette initiative.

M-FR-00006790-1.0 – Établi en mai 2022